Valeurs Actuelles

Fondé en 1966 par Raymond Bourgine, Valeurs Actuelles était un magazine français d’information boursière, puis est devenu un journal d’opinion d’extrême droite généraliste encore publié de nos jours. La critique cinématographique est assurée de 1966 à 1972 par l’écrivain antisémite Lucien Rebatet sous son pseudonyme habituel de François Vinneuil. Mais c’est son successeur Michel Marmin qui publie donc la critique de Blanche Neige et les sept nains lors de la ressortie du film en France en 1973. Il occupe le poste jusqu’en 1978, date à laquelle il va remplir la même fonction au Figaro.

Article sans titre

par Michel Marmin (3 décembre 1973)



Burbank, California, 1934.  For more than ten years, Walt Disney’s studios have been producing animated short films, the “Silly Symphonies,” which have proven unprofitable. Despite the reluctance of those around him, the creator of Mickey and Donald decides to produce his first full-length animated film: Blanche Neige et les sept nains.

— Vous auriez dû entendre les hurlements et les concerts d’avertissements, racontera plus tard Disney. On nous prédisait que personne ne resterait à une projection d’une heure et demie de dessins animés. Mais nous avions décidé qu’il n’y avait qu’une seule façon de faire Blanche Neige, et nous nous sommes mis au travail à corps perdu. Il n’était absolument pas question d’accepter des compromis.

Pendant trois ans, une équipe de sept cent cinquante dessinateurs, animateurs et techniciens travaille sous la direction de Walt Disney. Le film dépasse largement le devis initial et coûte deux millions de dollars. Mais Disney a gagné son pari. Blanche Neige marque une date dans l’histoire du cinéma et reste, en 1973, un sommet du genre.

Doublé en plus de dix langues, ce film, qui a déjà été vu par près de deux cents millions de spectateurs, entame une nouvelle carrière pour le cinquantième anniversaire de la société Disney, qui le lui doit bien.

La réussite de Blanche Neige tient essentiellement à deux choses : la qualité du scénario et du découpage dramatique ; l’imagination graphique d’un Disney au plus fort de son talent.

Dans un entretien publié dans le « New York Times Magazine », en 1934, pendant le tournage de Blanche Neige, Walt Disney a longuement développé les problèmes que posait, selon lui, la création des dessins animés. Notamment ceux qu'il tirait de la littérature féerique.

— Nos adaptations de huit minutes doivent être très différentes de l’original parce qu’il est impossible de raconter ces histoires en huit minutes sans une révision et une condensation rigoureuse, disait-il. Même dans notre premier grand film, Blanche Neige et les sept nains, la version des frères Grimm dut être considérablement coupée, bien qu’elle fût de la longueur d’une nouvelle et que notre film dut durer plus d’une heure. Mais sans de telles coupures il n’y aurait pas de place pour notre propre fantaisie, notre sens comique et la création de nos personnages.

Recueilli par les frères Jacob et Wilhelm Grimm au début du XIXe siècle, le conte de « Blanche Neige » est issu d’un folklore germanique nourri d’angoisses médiévales.

Dans son adaptation, Disney a supprimé deux détails révélateurs de l’ancienne mentalité populaire européenne mais, à ce titre, incompréhensibles dans la société d’abondance que représentait l’Amérique en 1934 : l’anthropophagie de la reine, qui traduit cette véritable obsession de la faim commune à tant de légendes rurales (« Le petit poucet »), et le supplice effroyable de celui qui lui met les mains rouges au feu, fouettée, la reine meurt « épuisée d’atroces douleurs ».

D’autre part, Walt Disney a raccourci le début de l’histoire et négligé les deux premières tentatives de la reine, transformée en vieille femme, pour tuer Blanche Neige, ne gardant que l’épisode de la pomme empoisonnée.

Non moins révélatrices, mais de la mentalité américaine cette fois, sont les modifications positives apportées par Disney au récit original. Qu’il ait passablement vieilli Blanche Neige (la princesse à sept ans dans le conte des Grimm) procède d’un simple ajustement à l’évolution des mœurs. Si bien que dans le film, ce ne sont plus les nains qui effraient Blanche Neige, mais le contraire.

Enfin, et surtout, Disney a fait des sept nains une création personnelle. Simplement indiqués chez les frères Grimm, ils prennent une existence individuelle très poussée et constituent à eux seuls un petit univers burlesque dont la verve populaire évoque moins la forêt allemande que Mark Twain ou John Ford.

Trente-six ans après sa première sortie, il est loisible de constater à quel point Blanche Neige appartient au cinéma américain de l’époque et à ses différents genres, auxquels Disney a fait de savoureux emprunts : comédie musicale (la danse tyrolienne des sept nains), épouvante (la fuite de Blanche Neige dans la forêt et, surtout, la transformation de la reine, digne de Docteur Jekyll et M. Hyde).

Combinant l’épouvante, le rire et l’émotion, Walt Disney a conçu son premier dessin animé de long métrage selon les règles dramatiques du cinéma traditionnel, et l’animation est soumise aux lois rigoureuses de l’écriture filmique la plus subtile : découpage des séquences, multiplication des plans (le film comporte quelque deux cent cinquante mille dessins), variation des cadrages, mouvements de caméra.

Quant à l’animation elle-même, elle est d'une richesse et d’une précision confondantes. Rehaussée par l’éclat des couleurs, les jeux étranges des ombres et des lumières et une partition musicale vouée à un succès prodigieux, le génie graphique de Disney s’y déploie dans une cascade de trouvailles visuelles. Fourmillante de détails loufoques, fantastiques ou poétiques, cette enluminure animée ne sera sans doute jamais égalée, même par le Pinocchio que Disney réalisera en 1940. Après Blanche Neige, le cinéma d’animation ne cessera guère de régresser, vaincu par sa technique coûteuse et les modes calamiteuses venues des pays de l’Est.