Cinémonde est un magazine de cinéma publié de novembre 1928 à 1968, avec une interruption pendant la Seconde Guerre mondiale. Au moment de la sortie de Blanche Neige et les sept nains, Maurice Bessy dirige le magazine depuis 1934.

Décembre 1937

L'édition de Noël de Cinémonde était publiée chaque année en décembre. Elle comporte beaucoup plus de pages que le reste de l'année et est en partie en couleur. Dans l'édition de 1937, Tom Tattle (un pseudonyme de Maurice Bessy ?) écrit un article dans lequel il présente le film et reproduit prétendument un texte de Walt Disney. Les nains y sont toujours appelés par leurs noms anglais puisque le film n'a pas encore été traduit, mais le nom de Dopey est en mal orthographié en "Doppy". Voici le texte :

Révolution au pays des fées

Walt Disney, le père de Mickey, raconte en deux mille mètres l’histoire de « Blanche Neige et des sept nains ».

"Cinémonde" est le premier journal de France qui publie des documents et des échos de cette gigantesque entreprise !

Qui n'a lu "Blanche-Neige et les sept Nains", le fameux conte de Grimm, tant aimé des enfants ? C'est une belle histoire, avec, par-ci, par-là, quelques traits de férocité. Walt Disney a voulu être le plus fidèle possible à son auteur et pourtant, par crainte des cauchemars enfantins, il n'a pas hésité à faire disparaitre quelques passages terrifiants. La Princesse Blanche-Neige n'endurera pas toutes les tortures que lui infligeait son affreuse belle-mère. Elle ne sera pas étouffée à demi par la mégère, le terrible peigne empoisonné ne pénétrera pas dans sa chevelure. De même elle n'ordonnera pas de grandes réjouissances lorsque la méchante Reine sera morte. Cette nuance de cruauté a paru à Walt Disney incompatible avec le beau et doux caractère de son héroïne. D'ailleurs, les modifications de ce genre sont courantes dans les productions de Walt Disney qui s'inspirent de légendes. Dans l'histoire des "Trois petits Cochons", le Loup mange les deux premiers, et fait bouillir le troisième. Dans le film de Disney, les petits cochons s'échappent, et le loup est puni d'une façon humoristique, sinon fatale.

Mais ne croyez pas que cette sollicitude paternelle de Walt Disney pour ces héros soit toujours récompensée. Les héros des dessins animés sont encore plus décevants que les vedettes humaines. Que dire des difficultés soulevées par les sept petits nains les uns après les autres ! Ils portent les noms de Doc, Grumpy, Bashful, Doppy, Sneezy et Happy. Doppy est peut-être le moins ingénieux et le moins vis des sept compères, et pourtant ses vêtements furent une grande cause de soucis. Le scénario indique que les habits de Doppy sont toujours infiniment trop grands pour sa personne. Les animateurs lui en dessinèrent donc qui traînaient derrière lui, puis il fallut les rétrécir à nouveau, puis les rélargir... C'était un travail beaucoup plus difficile que celui du tailleur qui essaye de faire ajusté !

Et le nez de Grumpy ? Ce nez est l'attribut le plus évident de la figure du nain, mais on lui octroya souvent, pendant la réalisation, des dimensions par trop excessives, et il fallut alors diminuer l'"enflure". Quant aux lunettes de Doc, glissant quelquefois trop bas sur son nez, elles causèrent aussi bien des drames

Mais laissons la parole à Walt Disney :

Doc ne sait jamais très bien ce qu'il doit faire de ses mains. Nous avons dû, cependant, veiller à ce qu'il n'exagère pas ce tic, car les mains du plus nerveux de nos héros pouvaient peut-être finir par exaspérer les spectateurs. Quant à Sleepy, nous avons eu du mal à traduire ses réactions devant certains faits sans lui faire perdre l'air endormi qui le caractérise naturellement. Il fut un temps où il paraissait beaucoup trop éveillé lorsque se produisait un événement imprévu, nous avons dû beaucoup travailler pour lui faire garder le juste milieu. Pour Sneezy, c'est son rhume des foins qui faillit nous rendre enragés. Il était évidemment très cruel pour lui, mais aussi diablement difficile, pour nous, de lui donner l'air enrhumé tout au long du film ! Happy, lui est le seul des sept nains qui ait les sourcils blancs et touffus, et ces sourcils nous causèrent les pires ennuis sans que nous parvenions à comprendre pourquoi. Nous dessinions une série d'images de Happy, et, à la projection, nous nous apercevions que ses sourcils bougeaient constamment. Nous avons eu toutes les peines du monde à leur donner une mobilité vraisemblable.

« Heureusement, Blanche-Neige a été un ange de douceur et de gentillesse. Elle n'a autorisé aucun potin malveillant et, en fait, après avoir travaillé tout le jour, elle se contentait de bâiller, de s'enrouler sur une bande de celluloïd auprès d'un pot de peinture, et de s'endormir profondément. Notons bien aussi qu'elle poussera l'amabilité jusqu'à chanter en français plusieurs charmantes romances ! »

Il nous reste maintenant à attendre patiemment que cette fraiche nursery traverse l'Atlantique. N'oublions pas que " Blanche Neige et les sept Nains" a coûte deux ans de travail et que pour être sûr de sortir au début de 1938, Walt Disney a dû faire travailler ses équipes de jour et de nuit. Le travail des "in-betweeneers » - c'est ainsi qu'on appelle les aides-dessinateurs à qui on remet le début et la fin d'un mouvement et qui se chargent de toutes les positions intermédiaires — est un travail triste et laborieux. Aucune usine n'est plus morose que cette fabrique de joujoux.

Walt Disney a gagné au sprint tous les "trois cents mètres" avec lesquels il s'est mesuré. Nul doute qu'il ne sorte grand vainqueur du " 2.000 mètres " où il vient de s'engager.

TOM TATTLE.