Générique de 1938 en français
Générique de 1938 en français

Une équipe hétéroclite

Pour cette version, Stuart Buchanan recrute un polyglotte renommé à Hollywood pour sa maîtrise des langues, et ses qualités artistiques, l'ancien assistant chilien de Mae West, Marcelo Ventura. Avant cela, il avait été attaché d’ambassade en Espagne, et avait alors réalisé un film "Barcelona Trailer" dans ses fonctions de délégué aux États-Unis de l'exposition internationale de Barcelone. Après son installation à Hollywood, il apparaît en figurant dans quelques films de sa patronne, et fait changer son nom en Marcel Ventura.

C'est lui, en compagnie d'Alfred A. Fatio, qui traduira le dialogue et les chansons du film, et on trouve d'ailleurs leurs noms sur certaines pochettes de disques et partitions, bien qu'il soit probable que les paroles utilisées sur ceux-ci ne soient pas celles du film. Marcel utilise ses talents pour assumer lui-même le rôle du Prince.

La distribution

Les rôles sont ensuite distribués parmi des acteurs français ou francophones expatriés aux États-Unis. Ainsi, la femme du réalisateur Jacques Tourneur, Christiane Tourneur, née Virideau, qui se trouve être actrice et posséder une voix juvénile, se révèle idéale pour interpréter le rôle principal. Adrienne d’Ambricourt, maîtresse femme, actrice de théâtre et de cinéma, prête son timbre menaçant à la Reine dans ses deux incarnations. Le miroir magique parle grâce à Jean de Briac, qui a tourné avec Mary Pickford au temps du muet, puis s'est recyclé en coach français pour les films en versions françaises de Laurel et Hardy où il joue également. On le croisera dans des rôles secondaires jusqu'à la fin de sa vie dans de nombreux films hollywoodiens.

Le chasseur est interprété par un fréquent collaborateur d'Adrienne d'Ambricourt à l'écran (il joue même son mari dans Les Américains à Paris): André Chéron. C'est également lui qu'on entend lorsque Grincheux ronchonne. Prof a la voix d' Eugene Borden, dont on retrouve la ronde silhouette au détour d'un très grand nombre de films dans des rôles furtifs d'annonceur, de médecin, de policiers, etc. L'accent ensoleillé de Joyeux est fourni par le niçois Charles de Ravenne , issu d'une famille de comédiens ayant tous fait carrière à Hollywood. Charles sera plus connu pour ses talents de peintre que d'acteur et il se limitera souvent à des emplois de groom à l'écran. La voix grave de Louis Mercier, qu'on retrouvera plus tard en policier pour Alfred Hitchcock dans L'homme qui en savait trop, est vraisemblablement celle de Timide.

Roger Valmy est peut-être celle d'Atchoum, Dormeur ayant très peu de dialogue.

Comme Christiane Tourneur n'avait pas le talent de cantatrice nécessaire à l'interprétation du rôle chanté de Blanche Neige, on trouve une Américaine, Beatrice Hagen, francophone qui saura vocaliser les mythiques chansons de la Princesse.

Celle-ci rentabilisera son contrat au studio en chantant le rôle de la fermière dans la Silly Symphony "Pastorale de basse-cour". On peut s'étonner du choix d'une chanteuse américaine, et d'acteurs dont l'accent a depuis longtemps été contaminé par l'anglais (celui de Jean de Briac est nettement perceptible), ainsi que des anglicismes d'une traduction assurée par des francophones plutôt que des français, mais on trouve ce défaut également dans la version hispanique, également réalisée aux États-Unis, où la voix parlée de Blanche Neige est assurée par Thelma Boardman, née Hubbard, dont l'accent américain ne trompe pas une seconde sur ses origines, et qui interprétera d'ailleurs le rôle en anglais à la radio.

Puisque le studio avait décidé, conformément à ses usages, de réaliser cette version française sur place, il fallait se débrouiller avec les artistes locaux.

Il faut aussi se rappeler que le cinéma parlant n'a alors même pas 10 ans, et l'utilisation courante du doublage est encore plus récente. On trouve encore, jusqu'en 1935 des films parlant français réalisés en Amérique ou en Allemagne, avec les accents qu'on imagine. Le doublage n'a été adopté que très récemment comme solution plus économique et viable, car elle n'est techniquement acceptable que depuis peu. Ainsi, s'il n'était bien évidemment pas dans les intentions de rendre les paroles des chansons parfois inintelligibles étant donné l'accent de l'interprète ou la qualité de l'enregistrement, il ne s'agit pas non plus d'un défaut totalement rédhibitoire à l'époque. En tout cas, c'est ainsi qu'on l'a jugé lors de la sortie initiale.

Livre en français

Les avantages de cette version

Mais laissons là les défauts de cette version pour se consacrer sur ses qualités :

• Tout d'abord, la traduction, malgré ses manquements, est souvent très moderne, accorde une grande importance au respect du texte original et à synchronisme labiale, et a le mérite d'avoir gardé certains éléments, non conservés dans les versions ultérieures comme les instants versifiés en dehors des chansons ("Je me sens très bien dans ce bois. Je suis sûre que tout s'arrangera pour moi. (...) Puis je dormir dans la terre comme vous ? Ou sur un arbre, comme vous mes p'tits choux"").

Ensuite, le choix des voix est particulièrement original, surtout si l'on considère les contraintes qui voulaient que les voix françaises puissent être très voisines des originales qu'on allait entendre par intermittence pour les interjections, rires, et autres sons "neutres". Il est rare, en effet, de nos jours, de choisir des voix aux qualités très distinctives, ceci afin d'oublier l'interprétation de l'acteur de doublage derrière celle du comédien original. Ici, nous avons un Joyeux à l'accent méridional, un Prof au timbre nasillard à souhait, une Reine particulièrement menaçante, et une Blanche Neige enfantine à souhait comme on ne la réentendra plus.

• Le montage sonore de cette version est également une œuvre en soi, en sachant que le mixage de chaque version a fait l'objet d'un travail individuel. En effet, si de nos jours, on prépare une version internationale avec la musique et les effets sonores déjà mixés pour n'avoir plus qu'à y ajouter les voix étrangères, il semble qu'ici, chaque piste a été remixée à chaque fois, en fonction des besoins de chaque version. On en trouve la preuve dans le fait que les rires de la Reine, bien que systématiquement gardés de la version originale, ne sont pas mixés au même endroit selon qu'ils s'enchaînent de façon plus ou moins heureuse à telle ou telle endroit de la réplique étrangère. De même, les cris de Blanche Neige sont plus ou moins nombreux dans la version allemande, française, italienne, etc.

• Enfin, cette version française ne se limite pas à une simple adaptation sonore. La plupart des plans contenant une mention écrite ont été adaptés, re-filmés et, dans un cas même, la scène a été réanimée, un fait unique à la version française. Naturellement le générique a été adapté aussi, et deux cartons mentionnant Buchanan, Ventura et Fatio ont été ajoutés. Le livre du début a été traduit, ainsi que ses deux premières pages. Un spectateur francophone pourrait presque, à la vision de cette version, s'imaginer qu'il s'agit là d'un film français, et c'était là la volonté de Walt Disney.

Exploitation

La première sortie en France a eu lieu le 6 mai au Cinéma Marignan à Paris sur les Champs-Élysées, en présence de Roy Disney et de Stuart Buchanan.

La première projection en Belgique, probablement dans une version censurée, a eu lieu à l'Eldorado de Bruxelles le 19 mai 1938 en présence du Premier ministre et de l'ambassadeur américain.

Pour la sortie originale, cette version a également été utilisée en Suisse, au Luxembourg, dans toutes les colonies françaises et probablement dans les régions francophones du Canada.

La première américaine de la version française a eu lieu au Waldorf Theater de New York le 8 avril 1939, où Walt Disney a fait une apparition personnelle.

En décembre 1944 et janvier 1945, le film est projeté à Paris, Avignon et peut-être dans d'autres villes.

Elle a été rééditée dans la plupart de ces pays en 1951. En 1955, la version française a également été utilisée illégalement pour réaliser des copies sous-titrées en noir et blanc pour une sortie générale en Russie.

La dernière sortie générale de cette version semble avoir eu lieu en 1958 au Canada. Mais des extraits ont été utilisés des décennies plus tard pour des émissions de télévision et des films en super 8.

Walt Disney et le couple Tourneur