André Chéron

Le fils du roi des « Bouillons Duval »

André Louis Ernest Alexandre Duval nait à Saint-Germain-en-Laye le 24 août 1880 de Alexandre Duval et Marie Chéron. Le 20 novembre 1929, Comœdia écrit : « André Cheron, qui n’est autre que le fils du célèbre Alexandre Duval ». Ainsi Alexandre Duval est célèbre. Ce même Comœdia du 19 octobre 1934 nous explique qu’il s’agit du restaurateur, créateur des « Bouillons Duval », à la tête d’une entreprise jadis florissante et qui s’était fait connaître par son amour du théâtre et des demi-mondaines. C’est pour l’amour de l’une d’elle, Cora Pearl, qu’il tenta de se suicider chez sa maîtresse, ce qui fit un beau scandale dans les journaux. L’homme n’étant pas à un scandale près, on apprend en 1886 d’où vient la calvitie d’André : c’est héréditaire et son père gagne alors un procès contre Mme Laffitte, charlatan de son état, qui lui avait promis une repousse de cheveux contre un traitement à 1800 francs. Mais ce n’est pas là le seul héritage transmis à André : il semble qu’Alexandre lui a transmis une passion pour le métier d’acteur. Les gazettes commentent régulièrement ses célèbres chapeaux demi-haut-de-forme et ses habits colorés portés lors des générales de pièces en vue. Il se lance même en 1911 dans la composition pour une opérette, « Barmaid », avec le librettiste Michel Carré.

Problèmes juridiques

C’est, semble-t-il, peu après la mort de son père en 1922 d’une péritonite à 76 ans qu’André quitte la France. Les circonstances semblent être en place pour une succession compliquée. Léon-Paul Fargue dans Paris Soir écrit un article sur l’ancien Dandy en 1937 et lui attribue deux fils : « l’un alla faire fortune au Chili et disparut dans les ténèbres. » Selon lui, l’autre aurait été sous-officier aux chasseurs d’Afrique et, à la suite d’une brouille avec son père sur des sujets d’argent, aurait publié une lettre privée dans la presse dans le but de discréditer son mondain de père. Le journal du 16 février 1922 semble plus clair : « Il laisse d’un premier lit une fille mariée au Mozambique et un seul fils ; l’autre a été tué à la guerre. De sa second femme, Madame Alexandre Duval, sensiblement plus jeune que lui, il laisse aussi deux enfants.

On peut supposer que, seul fils du premier lit et confronté à une jeune veuve ayant elle-même deux rejetons, André n’ait pas été nécessairement attaché à rester sur place, surtout s’il y avait déjà des querelles d’argent avec son père avant même le décès de celui-ci, qui avait en vain essayé de l’intéresser à la cuisine avant la guerre. À sa mort, le peu d’intérêts qu’il avait encore dans les restaurants est liquidé et plus aucun Duval n’a quoi que ce soit à voir avec l’entreprise.

Alexandre Duval, père d'André
André Chéron dans Le baiser (1929)
André Chéron dans Anna Karénine (1935)

La grande évasion

Pourtant, c’est vraisemblablement un autre problème qui l’a fait quitter le pays : Le Radical du 5 décembre 1923 nous apprend qu’il est condamné « deux fois à deux ans de prison, et quatre fois à six mois de prison par le tribunal correctionnel » pour le vol d’un manteau de zibeline chez Révillon Frères valant 145.000 francs, abus de confiance, et l’émission de chèques sans provision. Jugé « par défaut », il semble que l’escroc ne soit pas présent à son procès. Son état de santé ayant été jugé préoccupant, on lui permet d’aller en maison de santé. Il ne répondra plus aux convocations du juge d’instruction qui s’apercevra en octobre qu’il a disparu de ladite maison et lancera contre lui un mandat d’amener.

Pour cause : le 29 septembre 1923, déjà, il voyage à 42 ans de Honolulu à Seattle. À l’époque, il est célibataire, n’est pas citoyen américain et n’entend pas le devenir mais déclare vouloir rester aux États-Unis. Son plus proche parent déclaré serait sa sœur, Mrs. M. Albert Macekesay en Afrique du Sud. Il s’agit de sa première visite dans le pays d’où il ne sortira plus jamais. Arrivé le 15 octobre 1923, il déclare parler alors le français, l’espagnol et l’allemand. Il ne retournera plus jamais en France.

Hollywood

Peu après, André commence à apparaître dans des films hollywoodiens. Probablement après une période de figuration, André commence à tourner des rôles assez importants pour être crédité. Le premier rôle documenté sort en 1925, dans un film avec le jeune premier Richard Talmadge, à l’époque une vedette internationale connu en France sous le nom de Diavolo et dont la renommée s’était construite sur une formule de jeune athlète traversant des aventures au fil de nombreux longs métrages. Ici, dans L’indomptable Diavolo, le héros se retrouve en Amérique du Sud, un décor pour lequel le français André Cheron (car il a depuis adopté le nom de sa mère) semble avoir été jugé assez exotique pour incarner l’un des bandits Slippery Logan. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans un art alors muet, on aurait pu utiliser plus souvent le quarantenaire dans des rôles d’américains. Mais il semble que les chargés de distribution n’aient pas souvent réussi à faire abstraction de l’origine étrangère d’André.

Sur un peu plus d’une quinzaine de productions muettes, les rôles où il incarne un Français ou au moins un étranger représentent la majorité. Mais il y côtoie invariablement les plus grandes vedettes de l’époque. Un client de cabaret dans The Girl From Montmartre avec Barbara La Marr, un homme dans le public à l’Opéra de Paris avec Greta Garbo dans Le torrent, un maître d’hôtel pour Norma Talmadge et Ronald Colman dans Kiki, un serveur Parisien pour Rod La Rocque dans Gigolo, le père Français de Virginia Valli dans Un homme en habit, etc.

On ne le laisse jouer un critique de Broadway que dans L'emprise, réalisé par Lois Weber et quelques autres rôles moins typés.

Les réalisateurs fameux qui l’ont dirigé alors sont nombreux aussi : Cecil B. DeMille le fera jouer en riche marchand dans Le Roi des Rois, il tournera avec Murnau dans 4 diables, désormais perdu.

Le recensement de 1930 confirme qu’il a émigré en 1923 et qu’il est célibataire à 49 ans. À l’époque il loue un appartement pour 70 dollars par mois. Son nom donné est bien Chéron et il travaille.

André Cheron et Claudette Colbert dans La baronne de minuit (1939)
André Cheron et Margaret Sullavan dans Back Street (1941)
André Chéron dans Parade d'amour (1929)
Maurice Chevalier et André Chéron dans L’homme des Folies Bergères (1935)

Le film parlant

Avec le succès de Un soir, il inaugure une série de petits rôles plus ou moins remarquables dans des films désormais parlants, et étant donné son fort accent, ils seront tous « ethniques ». Dans Parade d’amour, on le trouve donc en mari trompé avec l’un des plus célèbres amants français en Amérique à l’époque : Maurice Chevalier.

Dans ce premier film parlant réalisé par Ernst Lubitsch, on inaugure une technique qui va rendre les acteurs français expatriés aux États-Unis comme André Cheron particulièrement populaire auprès des studios pendant quelques années : on retourne des séquences en français (ici, les chansons) afin de pouvoir distribuer une version adaptée dans les pays francophones. Rapidement, ce sont des productions entières qui seront retournées dans d’autres langues avec des acteurs bilingues ou une nouvelle distribution, le tout dans les mêmes décors que le film original.

C’est alors que, délaissant un temps ses rôles de serveurs français, André Cheron exploite à meilleur escient ses connaissances de la langue française pour jouer des rôles un peu plus importants dans des versions françaises de film américains tournées à Hollywood.

Dans le film en couleur La féérie du jazz, il incarne le présentateur dans la version française, là où, par exemple, c’est Bela Lugosi qui s’en charge pour la version hongroise. Il y partage d’ailleurs l’écran avec Otis Harlan, la voix américaine de Joyeux.

Il joue aussi dans Boudoir diplomatique, Lopez le bandit, L’aviateur, Garde la Bombe, L’énigmatique Monsieur Parkes, Le bluffeur, Une heure près de toi, Caravane, Folies bergère et La veuve joyeuse. Quand le rôle le lui permet, il joue même dans les versions en anglais et en espagnol (El impostor, Oriente es Occidente).

C’est également à cette époque qu’à l’âge de 50 ans, il épouse le 11 février 1931 à Los Angeles Charleen Eleanor Lippincott, 21 ans, fille de Milton F. Webster et A. Hawatt.

La mode des versions multiples est pourtant de courte durée et il revient bien vite à des rôles de croupier, serveurs ou de français dans des productions en langue anglaise qui veulent s’offrir de l’exotisme français sans sortir de Culver City. Le magazine « L’image » de janvier 1932 rapporte une anecdote cruelle selon laquelle Constance Bennett aurait refusé de s’assoir à côté d’André Chéron à une fête organisée par André Luguet, sous prétexte que Chéron ne gagnerait que 100 dollars par semaine. Vraie ou fausse, l’histoire n’empêchera pas les deux de partager l’écran par trois fois après cela, mais elle est en tout cas révélatrice de la classe sociale de l’acteur à l’époque.

Sans jamais décrocher un rôle important, il poursuivra sa carrière jusqu’en 1941, où sort le jour de noël son dernier film identifié : Louisiana Purchase avec Bob Hope.

Le 3 juin 1946, il réclame sa retraite à la sécurité sociale.

Il meurt le 26 janvier 1952 à San Francisco. Il est cocasse de constater que dans la presse française, les critiques remarqueront, parfois sans même citer son nom d’artiste, probablement adopté en partie pour faire oublier son passé criminel, que l’on peut apercevoir le temps d’une scène « le fils du regretté Roi des Bouillons » dont la vie aura inspiré à Yves Mirande la pièce « La grande vie » en 1929.

Blanche Neige

Lorsqu’il travaille sur Blanche Neige, il est donc à la fin de sa carrière. On peut noter que dans Les Américains à Paris, tourné en 1938, en même temps que la version française de Blanche Neige, il joue le rôle du mari de l'actrice Adrienne d’Ambricourt, la voix de la Reine. L’un de ces rôles les plus marquant, bien qu’il soit muet et dans un court-métrage, est celui du scientifique Becquerel dans le film L'épopée du radium, dirigé par Jacques Tourneur, mari de la voix de Blanche Neige, Christiane Tourneur.

André Chéron a la particularité de jouer deux rôles grâce à la présence de sa voix grave qu’il module légèrement pour jouer le menaçant chasseur et le nain Grincheux.

André Cheron dans le rôle de Henri Becquerel dans L'épopée du radium (1937)

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