Serge Nadaud par Teddy Piaz

Les différentes versions de Blanche Neige créditent rarement les acteurs au générique, à l’image de la version originale américaine, mais le deuxième doublage français bénéficie d’un carton entièrement dédié à la distribution. Pourtant, Serge Nadaud fait partie des grands absents de ce carton. C’est injuste à double titre : certes, le personnage qu’il incarne, l’esclave du miroir magique, peut éventuellement être qualifié de « secondaire », mais il a infiniment plus de dialogues que Georges Hubert qui incarne Dormeur et est, lui, bien mentionné, bénéficiant probablement du privilège d’être un des nains du titre.

La seconde injustice porte sur le fait que c’est lui qui a procédé à la direction de tous les autres acteurs. En effet, Serge Nadaud, né Eugène Rabinowitch le 14 mai 1906, à Bakhmout, ville située à l’époque en Russie et aujourd’hui en Ukraine, est en 1962 un vétéran du doublage et dirige des plateaux, ici à la SPS, depuis des années.

Débuts

En tant qu’acteur, il débute au théâtre à 18 ans, sous les conseils de l'acteur Gémier de l'Odéon, aux côtés de Michel Simon dans le rôle d'un jeune étudiant dans "Boudu sauvé des eaux", un rôle repris par Jean Dasté dans l'adaptation à l'écran. On le voit ensuite dans "Faust", puis "Un train de plaisir", etc. Son beau physique de jeune homme de 1m74 aux yeux bleus et aux cheveux blonds-cendrés lui fait jouer tout d'abord des rôles de jeunes premiers ou de jeunes amants, avec Jules Berry, Louis Jouvet, Françoise Rosay, Fernand Gravey, et d'autres grands acteurs. Parmi les critiques de l'époque, on note le "jeune et élégant" de Paris-Soir le 24 décembre 1926, un "tendre et charmant" de La Patrie du 1er janvier 1927. Lorsqu'il reprend le rôle de Jack dans "Les vignes du Seigneur" en 1927, on le trouve "plus jeune et plus anglais que ne l'était [André] Luguet", alors acteur à la Comédie Française. Il remplacera d'ailleurs l'acteur une nouvelle fois 9 ans plus tard dans "Trois, six, neuf". Il accède aux premiers rôles avec "Ludo" de Pierre Seiez en 1932 et demeure luxueusement 23 quai de Grenelle, au pied de la Tour Eiffel. La captation de "Frédéric" dans l’émission Au théâtre ce soir, disponible en DVD, nous permet de le voir dans cet exercice bien plus tard dans sa carrière.

Paris-Soir du 7 janvier 1926 nous révèle un talent méconnu de l'artiste : on peut en effet y trouver une caricature de l'acteur Pierre Alcover réalisée par Serge Nadaud. Il se croque d'ailleurs lui-même dans Le Figaro du 4 mai 1930, journal dans lequel on retrouve alors plusieurs de ses dessins.

Serge Nadaud par Teddy Piaz
Serge Nadaud par lui-même

Le cinéma

Alors qu'il grimpait peu à peu sur l'affiche des théâtres, il profite de l'arrivée du cinéma parlant pour se diversifier. On peut le voir à l’écran dans un des rôles-titres du film Les quatre vagabonds, sorti en 1931, tourné en Allemagne comme c’était l’usage à l’époque, les studios français ayant tardé à s’équiper pour le son. Le film est donc une version française du film allemand Gassenhauer, tourné dans les mêmes décors avec des acteurs français, et adapté par sa vedette, Aimé Simon-Girard, le D’Artagnan d’Henri Diamant-Berger. On se doute qu’assez rapidement, il ne fut plus question pour M. Nadaud aka « Rabinowitch » de tourner en Allemagne nazie. Il tourne son second film cinq ans après, cette fois en Italie, où il joue un Lord anglais, un emploi pour lequel il était connu au théâtre. Il enchaîne trois petits rôles de 1938 à 1940 entre deux pièces et, lorsqu'on le voit aux côtés de Françoise Rosay et Michel Simon dans Le ruisseau (disponible en DVD chez Lobster Film), il est toujours aussi élégant, mais n'a déjà plus l'aspect d'un jeune premier.

Sans surprise, il disparaît des écrans pendant la guerre mais se produit tout de même grâce à sa voix de Baryton remarquable dans des opérettes au théâtre en zone libre jusqu'en 1942, après quoi, on perd sa trace jusqu'en 1945. Son dernier long-métrage est d'ailleurs réalisé par Léo Joannon, collaborateur notoire.

Après la guerre, et le doublage

Il renoue ensuite avec le théâtre en 1945, en tant qu'acteur et producteur, et avec les petits rôles au cinéma dès 1947. On le trouve notamment dans un Duvivier, Sous le ciel de Paris, où il joue le bijoutier. Dès les années 1950, on le croise occasionnellement à la télévision, tout d'abord dans des adaptations de pièces où il joue, puis dans des séries, et il est aussi actif à la radio.

Dans le doublage, vous le reconnaîtrez facilement comme la voix de Spencer Tracy dans des classiques du cinéma tels que Docteur Jekyll et M. Hyde ou Madame porte la culotte. Et les amoureux des films de James Bond le retrouveront sur les dialogues de M, le patron de l’agent secret. Mais la liste des vedettes qu'il a doublé le temps de quelques films rivalise presque avec celle, interminable, de ses petits rôles au sein de chefs-d’œuvre comme Autant en emporte le vent, La tunique, Stalag 17 , etc. Il débute dans cette activité dès les années 1930, car on le trouve, par exemple, en 1938 dans la version française de L’incendie de Chicago.

Serge Nadaud dans Le costaud des Batignolles (1952)

Les dessins animés

Dans les dessins animés, il prête sa voix au fameux Rastapopoulos avec un accent de l’est, peut-être puisé dans ses origines (il parle Russe couramment), dans le film Tintin et le lac aux requins, dont il dirige les acteurs aussi. Mais il avait déjà fait plusieurs rôles dans Tintin et le Temple du soleil, où il collaborait avec Lucie Dolène, retrouvée sur le plateau du film Aladin et la lampe merveilleuse, de Jean Image. Lequel Jean Image l’emploiera après cela pour diriger la distribution de tous ses longs-métrages suivants. On l'entend aussi dans La flûte à six Schtroumpfs et La ferme des animaux.

Pour Walt Disney, il dirige entre autres les doublages de Mary Poppins, L'apprentie sorcière, La mare aux grenouilles, Merlin l'enchanteur, Robin des bois, Le clown et l'enfant, etc.