La Reine dans Blanche Neige et les sept nains est un personnage mythique, encore reconnu aujourd'hui comme le prototype du méchant parfait. Elle répond aux critères d'Alfred Hitchcock qui voulait, par exemple dans L'ombre d'un doute, que son méchant soit d'autant plus menaçant qu'il serait charmant car "plus le méchant est réussi, meilleur est le film."

Beaucoup a été écrit sur les œuvres et personnalités qui auraient influencé sa conception par Joe Grant. On a cité pêle-mêle la statue de la Margrave de Naumburg, Ute de Ballenstedt, qui rappelle en effet le personnage par ses traits et son costume, la souveraine dans "La source de feu", ou bien encore l'actrice Joan Crawford dont la moue ressemble à s'y méprendre à celle de la souveraine. Bien qu'elle ne soit jamais nommée dans le film, le nom finalement donné à la Reine dans l’adaptation en bande-dessinée, Grimhilde, rappelle d'ailleurs les origines germaniques du conte et de la statue. Robin Allan semble être le premier à avancer cette théorie dans "Walt Disney and Europe". Il est certain que les artistes ont dû être influencé, au moins à leur insu, par des personnages ou actrices contemporaines, ou des œuvres d'art.

Pourtant, il apparaît évident à la lecture de l'interview de Joe Grant par David Johnson que l'animation du personnage, par Bob Stokes et Art Babbitt, s'appuie énormément sur l'utilisation du rotoscope et que les scènes ont toutes été tournées par une seule et même actrice dont la photographie ci-dessous (trouvée dans l'excellent "L'art du dessin animé : Blanche Neige et les sept nains" de Martin Krause et Linda Witkowski) appelle à une conclusion évidente : c'est bien elle qui a influencé considérablement l'aspect final de la Reine, ainsi que ses mouvements caractéristiques.

Une inconnue

Et pourtant, l'identité de l'actrice en question reste un mystère complet. Joe Grant nous apprend qu'il s'agissait "d'une très belle femme fardée avec des sourcils arqués (...)." Il affirme qu'elle est celle qui "a inspiré l'aspect final". Mais s'il se souvient qu'elle était "une artiste plutôt connue dans le cinéma", il a alors oublié son nom.

In fact, Art Babbitt and Joe Grant do not remember that a model sheet was created for the character because the technique used did not require it, which seems to indicate that the rotoscope’s share of interpretation must have been less than on Snow White for example.

Marge Belcher ne se souvient pas d'elle non plus, ce qui n'est pas si surprenant, si on considère que la Reine et Blanche Neige n'ont aucune scène commune et c'est probablement la même équipe qui s'occupait des prises de vues réelles.

En revanche, elle émet l’hypothèse que Paul Godkin, un élève de son père, qui a travaillé sur la sorcière, ait pu également travailler également sur la Reine. Une chose est certaine : Marge n'évoque jamais avoir pu travailler une seule seconde pour ce rôle-là, et Joe Grant se serait de toute évidence souvenu d'elle si ça avait été le cas.

Résumons. La femme :

  • était une "artiste", mais pas nécessairement une actrice ou une danseuse.
  • travaillait dans le cinéma
  • était connue dans le milieu, mais apparemment pas du public
  • était très belle
  • avait des sourcils naturellement arqués
  • semble avoir une lèvre inférieure proéminente
  • sa profession semble plus connue que son nom, dont personne ne semble se souvenir
  • pouvait être engagée pour un prix très raisonnable, car le studio n'aurait pas dépensé beaucoup pour un tel travail.

Mon intuition est qu'une "artiste connue dans l'industrie du cinéma" qui ne laisserait pas une impression assez durable sur l'équipe et qui pourrait être payée à un salaire assez bas malgré cette notoriété professionnelle pourrait ne pas être une actrice à plein temps mais une doublure. Et il se trouve que la seule photo sur laquelle nous pouvons nous appuyer ressemble beaucoup à la doublure de Joan Crawford, Sylvia Lamarr. La même lèvre inférieure particulière qui exprime si bien le dédain, les mêmes sourcils arqués (un détail dont Joe Grant s'est précisément souvenu !). Elle semble être un choix évident pour le studio : peu coûteuse, belle, avec un visage célèbre qui correspondait à ce que les animateurs voulaient. Ce n'est qu'une théorie et il faudrait vérifier si un salaire pour Sylvia Lamarr peut être trouvé dans les archives de Walt Disney, mais dans mon esprit, c'est une concurrente de taille.