Première scène du miroir

Lorsque la Reine entre dans la pièce, elle ferme la porte et la verrouille. La musique baisse alors d’intensité. La Reine descend ensuite le long couloir. La musique de « Belle Reine » s’estompe peu à peu, tandis qu’une musique menaçante commence à monter — d’abord en contrepoint, puis couvrant « Belle Reine » entièrement.

La pièce est longue, étroite, avec un sol en miroir. Les murs sont drapés de noir et d’or terni, ou de pourpre foncé. Au fond de la pièce se trouvent trois marches en marbre blanc, semblables à des marches d’autel, et au-dessus se niche le miroir. Le miroir lui-même est dissimulé derrière de longs rideaux de velours. De chaque côté de l’autel du miroir brûle de l’encens dans deux braseros en forme de crânes. La lumière filtre à travers les orbites. De minces volutes de fumée s’élèvent en ondulant dans les airs. Les torchères qui éclairent l’autel sont conçues en forme de serpents. Les flammes jaillissent de leurs gueules ouvertes, mêlant des tons verdâtres et bleutés à l’orange, donnant cette teinte étrange et magnifique semblable à celle de la poudre de bois flotté jetée dans un feu ouvert.

La Reine tire sur un cordon de soie. Les rideaux s’écartent, révélant le miroir, dans lequel son visage se reflète un instant. Mais un mystérieux tintement retentit, semblable à celui utilisé dans Chan Du. Le miroir commence à s’embrumer, le visage de la Reine s’efface, et les nuages, d’abord transparents, deviennent opaques, formant enfin le visage du miroir. C’est un visage espiègle et malicieux — une large bouche rieuse, un nez assez grand, et des pattes d’oie rieuses au coin des yeux. Lorsque le visage apparaît, le miroir secoue la tête comme les croque-mitaines, terminant par une série de claquements de lèvres à la Russ Powell, le dernier lancé effrontément en direction de la Reine. Son expression ne change pas pour autant. Elle y est habituée.

Et ce n’est pas tout : elle a des affaires importantes à régler. Elle pose alors sa première question :

REINE : MIROIR, MIROIR, SUR LE MUR,

QUI EST LA PLUS BELLE DE TOUTES ?

Les yeux du miroir pétillent de malice tandis qu’il répond :

MIROIR : HIER SOIR, J’AI DIT LADY CLYDE.

MAIS ELLE A DÎNÉ AVEC TOI… ET EST MORTE !

Il fait mine d’être profondément désolé, mais l’un de ses sourcils se soulève légèrement, et il la regarde d’un air accusateur.

ON A BLÂMÉ LES CHAMPIGNONS SUR LA TABLE

MAIS… NE TE SENS-TU PAS UN PEU COUPABLE ?

LA REINE (avec colère) : TAIS-TOI ET RÉPONDS À MA QUESTION !

QUI EST LA PLUS BELLE DE TOUTES ?

Le miroir répond d’un ton dramatique, lent et flatteur. Puis, soudain, sa voix change, et à la fin de sa phrase, il la regarde fixement avec un air provocateur, clairement pour la narguer.

MIROIR : TOI, MA REINE, TU ES LOIN DEVANT !

TU N’AS PLUS DE RIVALES… ELLES SONT TOUTES MORTES !

Il émet à nouveau un claquement de lèvres à la manière de Russ Powell. La Reine, furieuse, saisit un chandelier et le lève comme pour le frapper.

REINE : DÉMON ! TU OSERAS UNE FOIS DE TROP !

Il l’interrompt d’un avertissement : « ANH ! ANH ! ANH ! ANH ! » Elle reste figée, le chandelier en l’air, puis, tandis qu’il poursuit, elle le baisse lentement, avec crainte. Pendant qu’il parle, le regard du miroir se durcit. Il est, l’espace d’un instant, d’un sérieux glacial — et la Reine le comprend. Ses paroles sont choisies avec soin, et prononcées avec une lenteur calculée.

MIROIR : AUSSI LONGTEMPS QUE JE SUIS EN PLACE,

TU POURRAS GARDER CE BEAU VISAGE.

SI JE SUIS BRISÉ, TU PERDRAS TON POUVOIR.

EN MOINS D’UNE HEURE, TU SERAS TRANSFORMÉE

EN CETTE VIEILLE SORCIÈRE LAIDE, DÉFORMÉE ET GRASSE QUE TU ES ! (Sa voix s’adoucit, rendant la menace encore plus inquiétante) ALORS… CALME-TOI !

La Reine est déstabilisée.

REINE : OUI ! JE SAIS ! J’AI COMPRIS !

MAIS… JE SUIS TOUJOURS LA PLUS BELLE DU ROYAUME ?

MIROIR : TU ES SEULE, MA REINE GRIMHILDE.

CELLES QUI ÉTAIENT AUSSI BELLES ONT ÉTÉ ÉLIMINÉES —

EMPOISONNÉES OU ÉTRANGLÉES PENDANT LA NUIT…

LA REINE (interrompant) : OUI, OUI ! MAIS QU’EN EST-IL DE BLANCHE NEIGE ?

MIROIR (avec intérêt) : AH ! IL FAUT LA SURVEILLER, JE DIRAIS.

ELLE DEVIENT PLUS BELLE CHAQUE JOUR !

LA REINE (furieuse) : JE LA RÉDUIRAI À L’ÉTAT DE SAC D’OS !

JE LUI EN FERAI VOIR JUSQU’À CE QU’ELLE GÉMISSE

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DE SUPPLIQUE — JUSQU’À CE QUE SON CORPS SOUFFRE,

QUE SON DOS SE COURBE ET QUE SON ESPRIT CÈDE !

MIROIR : AH, OUI, MA REINE ! MAIS QUE FERAIS-TU

SI BLANCHE NEIGE DEVENAIT AUSSI BELLE QUE TOI ?

La Reine prend une rose blanche dans un vase et l’écrase dans sa main en parlant.

REINE : LE JOUR OÙ ELLE SERA AUSSI BELLE QUE MOI,

COMME TOUTES LES AUTRES, BLANCHE-NEIGE MOURRA !

Elle ouvre la main et les pétales de rose tombent au sol… Fondu au noir.