Ciné-Miroir est une publication hebdomadaire française sur le Cinéma publiée de 1922 à 1940, puis de 1946 à 1953.
6 mai 1938
Alors que le film sort en exclusivité à Paris, Ciné-Miroir présente les personnages à ses lecteurs dans son numéro n°683 du 6 mai 1938 avec l’acteur Harry Baur en couverture. L’auteur a gardé les noms des nains en anglais dans son article.
Walt Disney nous donne un nouveau dessin-animé en couleurs : Blanche Neige et les sept nains.
par R.M. (6 mai 1938)
Vous connaissez probablement le charmant conte de fées Blanche Neige et les sept nains. Le célèbre dessinateur Walt Disney, le père de Mickey, de Minnie, de Donald et autres personnages bien connus en a tiré un film de dessins animés en couleurs qui passe actuellement au Marignan-Pathé à Paris. Ce film a demandé quatre années de travail et a coûté un million et demi de dollars. C’est la première fois qu’une œuvre de cette envergure est présentée au public.
Blanche Neige et ses compagnons occupent, en effet l’écran pendant plus de deux heures. En les voyant, vous constaterez que Walt Disney est resté fidèle, autant qu’il est possible, au fameux conte de Grimm, tant aimé des enfants.
Il a cependant voulu atténuer les éléments terrifiants qui figurent dans l’histoire originale. La princesse Blanche Neige n’endure donc pas toutes les tortures qui lui infligeait, dans le conte, son affreuse belle-mère. Elle n’est pas étouffée à demi par la mégère, le terrible peigne empoisonné ne pénètre pas dans sa chevelure. Seul, un des méfaits de la méchante vieille subsiste elle persuade la malheureuse Blanche Neige de mordre la pomme enchantée qui doit la plinger dans un éternel sommeil.
Un jour donc, dit Walt Disney, c’était vers la fin de l’année 1933, je parti pour le pays de la fantaisie, un pays qui n’est sur aucune carte, une terre promise où règnent le bonheur et la gaité.
Mon expédition s’avérait hasardeuse. Saurais-je la mener à bonne fin ? Blanche Neige était charmante, douce et pleine d’attention ainsi qu’il sied à une princesse, mais les petits nains étaient timides et peureux. Mes collaborateurs partageaient mon enthousiasme et étaient tous aussi désireux que moi de créer l’ambiance apte à recevoir Blanche Neige et ses curieux petits amis.
On dessina des centaines de décors et de maquettes dont on ne garda que les meilleurs. On composa de la musique entraînante, et, en 1935, je tenais enfin mes petits nains ; je pouvais les voir de près et les entendre parler comme je me l’étais imaginé autrefois, en lisant les premières pages du livre. Il se ressemblaient si peu qu’il me fallut des mois d’étude et d’observation pour arriver à les analyser et à les comprendre. Aujourd’hui, enfin, ils parlent, ils chatent, ils vivent sur l’écran :
Doc se considère comme leur chef ; il est pédant et rempli de son importance.
Happy est peut-être le plus commode. C’est un petit gros plein de gaité et qui a toujours le sourire.
Grumpy, lui, est le véritable chef de la bande. Il est toujours de mauvaise humeur et a horreur des femmes.
Sleepy pârle toujours en bâillant et vit les yeux entr’ouverts.
Dopey est un petit peu « loufoque » et aime se laisser vivre en faisant des blagues à tout le monde. Il porte un pourpoint jaune canari avec un chapeau gris lavande.
Sneezy, le pauvre petit, est victime du rhume des foins et d’éternuements formidables au moment les plus inopportuns.
Bashful a beaucoup de succès avec les dames. Il a très bon cœur, veut toujours rendre service et est excessivement romanesque. »
Tels sont, avec la méchante reine et le prince charmant, les principaux personnages que Walt Disney a rencontrés dans son voyage de quatre ans au pays enchanté. Il nous les présente aujourd’hui avec cet art qui n’appartient qu’à lui et nous en tirons un maximum de joie.
Décembre 1939
Ciné-Miroir, périodique français sur le cinéma, publie son almanach 1939 de 256 pages avec en couvertures les vedettes Danielle Darrieux, qui vient de sortir un film aux États-Unis,La coqueluche de Paris, et Corinne Luchaire, un peu oubliée de nos jours en raison du rôle de son père, Jean Luchaire, dans la collaboration quelques années après. L'almanach aborde nombre de sujets cinématographiques alors en vogue, comme Greta Garbo, Charles Trenet, l'armée au service du cinéma, et bien sûr Blanche Neige.
Quand cet article est publié, le film a déjà enchanté ses spectateurs depuis presque 8 mois en France, mais continue son triomphal succès sur beaucoup d'écrans. Le format Almanach, un livret publié en fin d'année qui annonce tout autant l'année à venir qu'il récapitule l'année passée, se prête à de très longs articles dont celui-ci ne fait pas exception. Le texte, non signé, est ici principalement consacré à raconter l'histoire du film dans un style qui pourrait être celui d'un livre pour enfant. Mais la fin donne des informations et des chiffres sur la production qui restent intéressants jusqu'à nos jours, lesquels sont cependant adaptés d'un article précédemment publié dans Cinémonde. Voici le texte :
Blanche Neige et les sept nains
par un journaliste inconnu (décembre 1939)
Tous ceux qui ont admiré le film merveilleux de Walt Disney seront heureux, pensons-nous, de relire l'histoire de Blanche-Neige et des sept Nains ; ceux qui n'ont pas eu cette joie éprouveront, au récit des aventures de la petite fée, une émotion qui, pendant quelques instants, les sortira de la vie terre à terre et quotidienne qui est celle des êtres humains. Il faut bien que, à la fin de l'orage, brille l'arc-en-ciel ; le film de Walt Disney est comme un arc-en-ciel ; il éclaire pendant quelques minutes nos existences de sa poésie et de sa lumière, de sa couleur aussi. Le grand metteur en scène de dessins animés s'est surpassé. Il a peut-être créé son chef-d’œuvre ; avant de dire comment il l'a réalisé, nous voulons vous amuser et vous rajeunir par un beau conte de fées. Écoutez petits et grands, les touchantes aventures de Blanche-Neige et des sept nains.
Pourquoi donc l'appela-t-on Blanche-Neige, la délicieuse petite fille, aux lèvres rouges comme des cerises, aux noirs et brillants cheveux d'ébène, aux longs cils recourbés ; il faut d'abord que je vous le dise. Car en tout, on doit commencer par le commencement. Or, donc, dans un paysage du Nord vivait une noble reine, qui passait son temps à broder. Il faisait froid au dehors et elle s'appliquait d'autant plus à son travail qu'elle portait un enfant dans son sein et elle pensait que les beaux dessins coloriés et joyeux iraient embellir les vêtements du bébé qui devait naître. Un jour, tout en travaillant, la reine regardait la neige tomber sur le sol, le recouvrir d'un vaste manteau blanc et elle eut envie de voir de plus près cette nature immaculée et silencieuse ; elle ouvrit la fenêtre et se pencha. C'est alors qu'elle se piqua le doigt et que trois gouttes de sang firent une tache pourpre sur la neige. L'effet en était fort joli ; il frappa la reine et elle se prit à penser :
— Plût au ciel que j'aie un enfant dont le visage mêlé au carmin serait ainsi encadré de noir.
Ses derniers mots faisaient allusion au cadre de la fenêtre, qui était d'ébène ; après les avoir prononcés, la reine se retira dans son appartement, poursuivie par la vision qui l'avait enchantée. Elle croyait bien avoir fait ce vœu en vain, car le destin se moque fort souvent de nos désirs comme de nos rêves cependant, elle fut exaucée et la reine eut, la même année, une petite fille dont le teint était pur comme la neige, avec des lèvres vermeilles et de beaux cheveux tout noirs. Dans sa joie, la reine s'écria :
— On l'appellera Blanche-Neige.
Elle avait tant désiré cette enfant, qu'elle se promettait une immense joie de la voir grandir et embellir à ses côtés ; mais il était écrit qu'elle ne devait pas vivre et bientôt Blanche-Neige fut sans mère. La reine avait, en partant pour toujours, laissé un grand vide dans le cœur de son mari et celui de sa petite fille. Mais si le cœur d'un enfant reste inconsolable, il n'en est pas de même du cœur de l'homme et le roi, devenu veuf, après avoir bien pleuré, choisit une autre épouse. Hélas ! elle ne ressemblait guère, par le caractère, tout au moins, à la mère de Blanche-Neige. C'était une femme dont la beauté n'avait d'égal que son orgueil infernal. Elle se croyait la femme la plus belle de la Terre et la seule pensée qu'une autre créature pût se mesurer avec elle ou se comparer la rendait véritablement folle de rage. Elle avait constamment à ses côtés un miroir magique qu'elle consultait sans cesse.
Elle lui demandait :
— Miroir, gentil miroir, quelle est la plus belle de tout le pays?
Et le miroir répondait :
— Madame, la plus belle, c'est notre reine ; c'est vous.
Cette réponse flattait son fol orgueil et pendant plusieurs années, elle pensa que le miroir disait la vérité ; mais elle voyait grandir Blanche-Neige et elle se rendait compte que si sa grâce véritablement merveilleuse continuait à s'épanouir, la reine se verrait, un jour, dépassée en beauté et en séduction. Elle devint donc inquiète et c'est presque en tremblant qu'elle interrogea son miroir magique. Elle lui demanda comme de coutume si elle était la plus belle du pays, et le miroir, qui ne savait pas mentir, répondit :
— Vous êtes bien belle, notre reine mais Blanche-Neige l'est mille fois plus de vous.
Vous vous imaginez la colère de la reine, qui n'était plus à ce moment qu'une marâtre verte de fureur. Était-il possible qu'une femme fût plus belle que la souveraine du Royaume. Et cette rivale se trouvait dans sa propre maison, dans son intimité. Il fallait que cessât pour elle ce supplice ; elle appela le grand veneur du palais, qui mit quelque temps à paraître devant la reine, qui se montra fort courroucée.
— Que faites-vous. monsieur, quand on a besoin de vos services ?
— Je suis aux ordres de votre Majesté.
— On ne le dirait pas.
— Pardonnez-moi, mais j'avais sous les yeux un si délicieux spectacle !
— Et quel est ce spectacle ?
— J'admirais la jeune princesse.
— Blanche-Neige ?
— Oui, madame, fit le grand veneur, en s'inclinant.
La reine eut un mauvais rire.
— C'est d'elle, précisément, que je veux vous entretenir.
Le grand veneur se prit à sourire, mais sa joie s'éteignit bien vite.
— Écoute, dit la reine (elle tutoyait ses officiers quand elle était en colère) ; il faut que la princesse disparaisse.
— Qu'elle disparaisse !
-- J'en ai décidé ainsi.
— Et c'est moi... balbutia le grand veneur.
— Oui, fit la reine en baissant la tête ; arrange-toi pour l'attirer dans les bois.
— Et après ?
— Après, tu la tueras
— La tuer !
— C'est ma volonté.
— Bien.
— Et, pour me prouver que l'ordre sera exécuté, tu m'apporteras son cœur. En échange, je te donnerai un sac plein d'or.
Le grand veneur dut prêter une fois de plus serment et il s'en alla chercher Blanche-Neige, afin de l'emmener dans la forêt pour une promenade. Sans méfiance, la jeune princesse le suivit et le bourreau se préparait à son assassinat ; on ne résistait pas à la reine, qui était la plus cruelle des femmes. Donc, quand ils eurent atteint un fourré assez sombre qui les cachait à tous les regards, le grand veneur se précipita sur Blanche-Neige, le poignard haut. La jeune fille poussa un cri et joignit les mains avec tant de sincérité, de pudeur et d'effroi, que le criminel laissa tomber son arme. II se sentit ému par tant d'innocence.
— Reste dans la forêt, dit-il à la jeune princesse ; garde-toi de rentrer au palais si tu veux vivre.
Or, à seize ans, tout être veut vivre. Le grand veneur quitta la jeune fille et tua une biche à laquelle il arracha le cœur ; il apporta celui-ci à la reine, qui ne put cacher son triomphe en recevant le présent.
Pendant ce temps, Blanche-Neige se demandait ce qu'elle allait devenir, seule et perdue dans la forêt, guettée par des dangers sans nombre. Elle était là, fiévreuse, accablée par la solitude, lorsqu'elle entendit les hurlements des loups et les grognements des ours ; dans l'ombre, les hiboux la fixaient de leurs yeux ronds et brillants. Il y avait de quoi faire trembler Blanche-Neige. Elle courait sans savoir où, se déchirant les vêtements et les pieds aux ronces et aux pierres des chemins. Cependant, après une course haletante, elle s'arrêta ; les bêtes sauvages ne s'étaient pas jetées sur elle. Elles ne lui voulaient aucun mal. Bien plus, les animaux des bois voulaient la protéger, la guider ; émerveillés par sa grâce, par sa beauté et son innocence, les oiseaux pépiants, les daims si souples, les écureuils joyeux, les lapins culbuteurs, les chevreuils élégants s'efforçaient de lui prouver leur amitié et elle les suivit jusqu'à une clairière où se trouvait une gentille maisonnette. Qui pouvait habiter là ? Blanche-Neige n'y entra pas sans inquiétude, mais, quelle ne fut pas sa surprise, une fois la porte poussée, de ne trouver âme qui vive et de se trouver dans une demeure meublée de petites chaises, de petites tables et de tout petits lits; elle avait envie de dormir, mais, avant de s'étendre, Blanche-Neige voulut mettre de l'ordre. Les choses ne traînèrent point, car ses amis, les animaux de la forêt et les oiseaux des bois, l'aidèrent aux soins du ménage et en un rien de temps, la poussière disparut, la vaisselle fut faite et la maison se mit à reluire comme un sou neuf. Maintenant, Blanche-Neige avait bien gagné son repos ; elle récita sa prière et s'endormit profondément.
Blanche-Neige était en train de dormir lorsque rentrèrent les habitants de la maisonnette.
C'étaient sept gnomes ou plutôt sept nains qui faisaient des trous dans les montagnes pour y découvrir de l'or et des pierreries ; c'étaient sept petites créatures bienveillantes et fugitives, sept esprits de la nature qui n'avaient pas l'habitude de vivre avec les humains. Ils furent bien étonnés, lorsqu'ils eurent poussé la porte, de voir leur maison nettoyée et en ordre. Qui donc était entré dans leur demeure ? À dire vrai, leur joie devant ce rangement inattendu disparut pour faire place à de l’inquiétude... Ce n'est pas sans trembler qu'ils gravirent l'escalier qui menait à leur chambre. Qu'allaient-ils découvrir, seigneur ? Ils se glissèrent dans la pièce et ils étouffèrent des cris d'admiration à la vue de la petite princesse endormie ; ils n'avaient jamais vu un être humain aussi impressionnant de grâce et de beauté. Ils n'osèrent interrompre le sommeil de la jeune fille et s'en allèrent sagement se coucher dans leurs petits lits.
Ce fut Blanche-Neige qui s'éveilla la première et, en ouvrant les yeux, elle se mit à sourire aux sept petits nains ; elle se leva et passa devant leurs lits, au pied desquels chaque gnome avait son nom inscrit. En apercevant un petit nain affligé d'un rhume qui le forçait à éternuer chaque fois qu'il ne le fallait pas, elle dit :
— Vous, vous êtes Atchoum I
À celui qui rougissait dès qu'elle lui adressait la parole, elle dit :
— Et vous, Timide.
À un autre qui ne parvenait pas à soulever ses lourdes paupières et qui semblait toujours à côté de la question, dans leurs entretiens, elle ajouta :
— Et vous, Dormeur.
Il y avait un petit nain gros et rond, toujours content.
— Vous êtes Joyeux.
Un autre, brave, mais pas très malin, qui disait des bêtises grosses comme son nez et se croyait toujours le plus fort de ses compagnons :
— Vous êtes Prof, dit Blanche-Neige.
Elle prononça les noms des deux autres ; du chef de la bande, un nain bourru, renfermé, qui haïssait les femmes ; il se nommait Grincheux ; le plus jeune s'appelait Simplet, toujours de bonne humeur, mais plus nigaud qu'il n'est permis.
Et il arriva ceci, que les sept nains furent bien vite conquis par la grâce et la bonté de Blanche-Neige. Elle leur raconta ses malheurs, qu'ils écoutèrent avec émotion et, quand elle eut terminé son récit, elle offrit ses services aux sept nains, s'ils consentaient à la garder auprès d'eux.
— Je tiendrai votre maison.
— Oui, firent la plupart des nains.
— Je vous ferai la cuisine et vous composerai de délicieux desserts.
Tous applaudirent ; elle les remercia, ajoutant d'une voix espiègle :
— Mais je vous préviens : vous n'irez pas manger sales comme vous êtes.
— Plaît-il ! s'écria Grincheux.
— Il faudra vous laver le visage.
— Par exemple !
— Et les mains.
— C'est trop fort.
— Vous brosserez vos vêtements. -- Non ! s'écria Grincheux.
Loin de prendre garde à la résistance du chef des nains, elle l'envoya sous la douche, ce qui l'humilia ; mais il fut bien obligé d'obéir. D'ailleurs, il fut le premier, dans la suite, à féliciter Blanche-Neige de son savoir de cordon-bleu. Il était si enthousiaste qu'il se mit à l'orgue après le déjeuner, ce qui fut le signal de chants et de danses pour tous les petits nains. Ils étaient heureux dans la compagnie de la petite princesse, gagnés définitivement par sa gentillesse et ils ne savaient qu'inventer pour lui faire plaisir. La vie leur semblait belle à tous et c'est avec gaîté qu'ils se rendaient chaque jour dans la montagne pour travailler aux mines de diamants.
Pendant ce temps, la méchante reine, la marâtre de sa belle-fille, continuait à interroger son miroir sur sa beauté et un jour, elle sursauta parce que le miroir magique venait de lui répondre :
Madame, vous êtes la plus belle de tout le pays, mais Blanche-Neige, qui est au-delà des monts, chez les sept petits nains est mille fois plus belle que vous.
La reine se dressa, pâle, secouée par la fureur et la jalousie. Quoi, cette Blanche-Neige qu'elle croyait morte, qu'elle avait fait assassiner était encore vivante ! On l'avait trompée, elle, la reine ! Désormais, elle ne voulait charger personne de sa vengeance : elle agirait toute seule.
Mais il fallait qu'elle devînt méconnaissable et, comme elle était quelque peu sorcière, elle composa un philtre et l'avala ; aussitôt, sa beauté disparut, elle prit l'aspect d'une vieille femme hideuse, décharnée et repoussante ; elle devint une horrible furie aux doigts crochus. Elle consulta ensuite les livres de magie et elle trouva une recette qui lui permit de fabriquer une pomme dont la plus belle moitié était imprégnée d'un poison subtil ; l'autre pouvait être mangée sans aucun danger. Elle tenait à présent sa vengeance. Elle mit sa pomme dans un panier parmi les autres et s'en alla de l'autre côté de la montagne pour arriver à la maison des nains. Ceux-ci avaient recommandé à Blanche-Neige de n'ouvrir à personne en leur absence ; elle l'avait promis, mais la princesse avait le cœur tendre ; elle était pitoyable aux pauvres et quand elle vit la vieille femme lui tendant son panier de pommes, elle ne put s'empêcher d'approcher de la fenêtre pour venir en aide à la mendiante elle était tentée également par les beaux fruits.
— Vois comme cette pomme est belle, dit la vieille ; respire-là, elle embaume. Blanche-Neige était tentée par la pomme ronde et rouge ; mais les petits nains lui avaient dit de se méfier de tout le monde.
— Goûte-la ! Que peux-tu craindre ? s'écria la fausse marchande. Tiens, je vais en manger la moitié ; tu pourras prendre l'autre pour juger de son goût.
La vieille se mit à manger la partie la plus pâle, ce qui rassura Blanche-Neige ; elle prit l'autre moitié, mais, à peine eût-elle mordu dans le fruit, qu'elle tomba, sous le coup d'un sommeil mortel. La méchante reine, déguisée, éclata d'un rire infernal.
— Me voici débarrassée de cette odieuse créature qui m'empêchait de vivre en paix.
À peine eut-elle prononcé ces mots, que les animaux et les oiseaux amis de la princesse s'en allèrent avertir les nains et ceux-ci traquèrent la méchante femme jusqu'au bord d'un précipice. Là, soudain frappée de la foudre, elle roula dans l'abîme. C'en était fait de la hideuse sorcière ; mais il s'agissait de ranimer la petite princesse qui avait gardé, dans son immobilité ses belles couleurs ; ils ne pouvaient se résigner à l'enfouir dans la terre. Tous leurs efforts furent vains, alors ils confectionnèrent pour Blanche-Neige un cercueil tout en verre qu'ils transportèrent sur le sommet de la montagne voisine. Ils avaient le cœur bien lourd, les sept petits nains ; ils ne pouvaient retenir leurs larmes tout en priant pour la princesse.
Leur peine était grande et tout dans la nature les laissait indifférents ; cependant, ils levèrent la tête lorsqu'ils entendirent des pas inusités ; vers eux s'avançait à cheval un jeune prince véritablement charmant. Il s'était égaré à la chasse et cherchait en vain son chemin. C'est alors qu'il aperçut Blanche-Neige dans son cercueil et la beauté de la jeune fille le ravissait ; il ne pouvait détacher ses regards de son teint si pur, de ses cheveux d'ébène, de la pourpre de ses lèvres et il s'approcha de la princesse, attiré par des forces secrètes. Et, tout à coup, ne pouvant résister à la tentation, il se pencha sur la jeune fille et déposa un baiser sur son front. Aussitôt la princesse ouvrit les yeux et sourit au beau chevalier ; l'amour l'avait fait revenir à la vie ; elle tendit la main à son sauveur, qui l'emporta comme une proie. Un nouveau bonheur éclairait la terre et les sept nains suivirent d'un regard triste et ravi leur petite fée.
On avait fortement déconseillé à Walt Disney d'entreprendre son second grand film : Blanche-Neige et les sept nains ; mais c'était mal connaître le créateur de Mickey il suffit de vouloir l'empêcher de faire quelque chose pour qu'il le réalise immédiatement. Quand il eut vingt ans, de bons amis lui avaient crié casse-cou quand il avait voulu s'établir à son compte ; il ne les avait pas écoutés et il avait eu raison, car dix ans plus tard, il réalisait ses fameux Mickey qui loin d'avoir la vie éphémère qu'on leur avait prédit conquirent auprès du public mondial un succès qui n'a fait que grandir.
Quand il parla de donner des films en couleurs, on lui dit encore que c'était une tentative hasardeuse et coûteuse ; qu'en conséquence, il ferait mieux de s'abstenir. Il répondit en réalisant les Trois petits cochons, dont on connaît la fortune. Aujourd'hui, après trois ans de travail, il nous offre Blanche-Neige et les sept nains qui est une magnifique réussite.
En réalisant cette féerie merveilleuse, Walt Disney est resté aussi fidèle que possible au fameux conte de Grimm ; cependant, il a fait preuve du plus grand goût en voulant en atténuer les éléments terrifiants qui se trouvent dans l'histoire originale. Dans son œuvre, la princesse Blanche-Neige n'endure pas toutes les tortures que lui infligeait son abominable belle-mère. Elle n'est pas étouffée à demi par la mégère, le terrible peigne empoisonné qui se trouve dans le conte a été supprimé ; il ne pénètre pas dans la magnifique chevelure d'ébène. Seul un des méfaits de la méchante reine subsiste elle persuade la malheureuse Blanche-Neige de mordre la pomme enchantée qui doit la plonger dans un éternel sommeil.
Dans le conte, la mort de la méchante reine est suivie de grandes réjouissances en l'honneur du mariage de la princesse. Cette cruauté, risquant de paraître peu en harmonie avec le beau caractère de Blanche-Neige, ne paraît pas dans le film. La princesse n'assiste pas à la mort de la reine, ce qui est beaucoup plus rapide. Pourchassée dans la montagne par les sept nains, la méchante vieille tombe dans un précipice. Du reste, pareilles modifications sont courantes dans les productions de Walt Disney, qui s'inspirent de légendes. Dans l'histoire des Trois petits cochons, la véritable, le loup mange les deux premiers et fait bouillir le troisième ; dans le film de Disney, les petits cochons s'échappent et le loup est puni de façon humoristique. Toujours, le grand metteur en scène de dessins animés montre plus de gentillesse et plus d'humanité que le conteur il veut que le public emporte une impression souriante de ses films et il a raison. On ne se doute pas de la peine que Walt Disney se donne, de l'incroyable labeur qu'il fournit pour réaliser ses œuvres. On pense volontiers, à Hollywood, que les ateliers de Walt Disney constituent le studio idéal, un studio où toutes les vedettes sont faciles à vivre. Il faut écouter ce que dit un journaliste qui a vu Walt Disney à l’œuvre pour comprendre l'extraordinaire effort qu'il a fourni.
Quiconque, affirme le témoin, est porté à croire que le personnel de Walt Disney travaille sans encombre n'a qu'à se renseigner auprès des animateurs. Ces animateurs, ce sont les jeunes gens qui dessinent les séries d'images dont la succession rapide montra Blanche-Neige vivant les aventures diverses qui la font aimer de tous les enfants du monde entier, de huit à quatre-vingts ans.
Les animateurs affirment que leurs personnages irréels posent autant de problèmes que n'importe quel acteur humain dans ses rapports avec son producteur, son metteur en scène, son habilleur et ses partenaires.
Les animateurs qui dessinèrent les nains, interprètes du premier grand film de Walt Disney : Blanche-Neige et les sept nains, éprouvèrent les plus grandes difficultés, car les sept petits bonshommes sont des personnages entièrement nouveaux, qu'il fallut créer de toutes pièces, sans avoir en mains le moindre document provenant de filins antérieurs. La création de Simplet, tout particulièrement, fut hérissée de difficultés. Simplet est peut-être le moins ingénieux et le moins vif des sept compères, mais il n'est en aucun cas différent et il fallut lui composer une personnalité un peu fruste et néanmoins charmante. Ses vêtements furent également une cause de souci. Le scénario indique que les habits de Simplet sont toujours infiniment trop grands pour sa personne ; les animateurs et leurs assistants lui en dessinèrent donc qui traînaient derrière lui et les aides-dessinateurs furent chargés de les rétrécir jusqu'à ce qu'ils atteignissent des dimensions suffisantes.
Il y eut d'autres difficultés, par exemple le nez de Grincheux ; ce nez est l'attribut le plus caractéristique de la figure du nain, mais on lui octroya souvent, pendant la réalisation, des dimensions par trop excessives et il fallait en diminuer l'enflure, la ramener à de justes proportions, ce qui n'était pas commode. Pour les lunettes de Prof, elles tombaient souvent trop bas sur son nez, ce qui causait de véritables drames. En fait, il y avait pour le metteur en scène de quoi devenir aussi fou que dans n'importe quel studio. "Prof ne sait jamais très bien ce qu'il doit faire de ses mains, a dit un des dessinateurs, mais il les agite sans cesse. Nous avons dû veiller à ce qu'il n'exagère pas son tic, car les mains du plus nerveux de nos héros pourraient peut-être finir par exaspérer les spectateurs. Quant à Dormeur, nous avons eu du mal à traduire ses réactions devant certains faits sans lui faire perdre l'air endormi qui le caractérise naturellement. Il fut un temps où il paraissait beaucoup trop éveillé, lorsque se produisait un événement imprévu, nous avons dû beaucoup travailler pour lui faire garder le juste milieu. Pour Atchoum, c'est son rhume des foins qui faillit nous rendre enragés. Il était évidemment très cruel pour lui, mais aussi diablement difficile pour nous de lui donner l'air enrhumé tout au long du film ! Joyeux, lui, est le seul des sept nains qui ait les sourcils blancs et touffus, et ces sourcils nous causèrent les pires ennuis sans que nous parvenions à comprendre pourquoi. Nous dessinions et, à la projection, nous nous apercevions que ses sourcils bougeaient constamment. Nous avons eu toutes les peines du monde à leur donner une mobilité vraisemblable. Mais, malgré toutes ces difficultés, le plaisir que nous ont procuré nos sept nains, quand nous avons vu le film terminé compense largement nos ennuis. »
Comme on peut s'en rendre compte par ces confidences, l'effort déployé par les studios Walt Disney pour adapter à l'écran le vieux conte de Grimm a été considérable, non seulement en raison de la longueur du film, mais à cause des procédés dont sa réalisation a nécessité l'invention. Une des raisons, en effet, du gros succès de Blanche-Neige et les sept nains est due aux effets spéciaux d'animation. Aux studios Disney, un département d'animation spécial a été créé depuis deux ans, il comprend 25 dessinateurs, dont le rôle considérable consiste à animer la pluie, une ombre, le scintillement d'un diamant, l'eau bouillante, etc. Dans Blanche-Neige, on va jusqu'à nous montrer le souffle du vent ! On consacra des mois à faire des essais, car on dut créer des effets qui n'avaient jamais été entrepris jusqu'alors dans le domaine du dessin animé et qui devaient surtout avoir l'air réels. Dans Blanche-Neige, la scène la plus difficile à réaliser fut celle de la transformation de la méchante reine en vieille sorcière, pendant la composition et l'absorption du philtre magique. On voit le breuvage bouillonner dans le chaudron.
C'est là aussi qu'on a le spectacle d'un coup de vent. Cet effet est obtenu en montrant la course des nuages dans le ciel, le déplacement des bouffées de brouillard, le froissement des tentures et des vêtements juste assez esquissés pour donner au spectateur la vision imaginative du chemin frayé par le vent. Le public voit le philtre faire son œuvre en voyant la scène des propres yeux de la reine. Elle est ensuite prise de vertige, la pièce se met à tourner en rond et la scène s'achève dans un tourbillon de couleurs. Pour les effets de pluie, on étudia le choc de l'eau sur un objet quelconque et l'aspect de vêtements mouillés. Les effets d'ombre furent trouvés en observant le genre d'ombre qui produisait la lumière d'une intensité donnée et sa déformation après avoir heurté un obstacle. Un travail énorme et ingrat, mais qui est un des plus intéressants qu'il ait été donné d'accomplir dans un studio.
Nous aurions bien des détails curieux à fournir à propos de la musique qui joue un rôle considérable dans Blanche-Neige ; mais ce serait trop long et nous risquerions de fatiguer nos lecteurs. Disons seulement que de toutes les scènes du film, dans lesquelles les bruits étaient difficiles à rendre, aucune n'a donné plus de mal aux musiciens et aux bruiteurs que celle où les sept nains devaient jouer d'un orchestre construit par eux. Ou se rendit compte qu'on ne pouvait utiliser un orgue ordinaire ; la tonalité devait être d'un instrument bricolé par un amateur. On fouilla inutilement les bric-à-brac dans l'espoir d'y dénicher des instruments de musique bizarres ; ce fut finalement avec les moyens du bord, nous voulons dire du studio qu'on réalisa les effets sonores désirés. On obtint des tonalités curieuses en soufflant dans des bouteilles partiellement remplies d'eau. On utilisa des clarinettes sans bec, on adapta des anches de basson sur des trombones, on compléta avec un ocarina. Pour éviter que le ton variât, on devait éviter aux bouteilles d'eau tout changement de température. On entend cet orgue dans la scène qui nous montre les sept nains donnant un concert à Blanche-Neige dans leur petite maison perdue dans la forêt.
Veut-on des chiffres, maintenant ? Le travail d'un pionnier est toujours difficile et onéreux. Le film de Blanche-Neige et les sept nains, qui dure plus d'une heure et demie, est composé de 230.000 dessins avec un fond musical réalisé par un orchestre comprenant 80 musiciens ; 600 dessinateurs ont travaillé à cette production pendant plus de trois ans. Ces dessinateurs comprenaient : 32 animateurs, 102 assistants, 18 aides, 20 dessinateurs-metteurs en scène, 24 dessinateurs faisant les fonds à l'aquarelle, 85 dessinateurs d'effets (ceux qui dessinent la fumée, l'eau, les nuages) et 158 jeunes femmes expertes qui ont peint les caractères de Disney sur des feuilles de celluloïd transparent. En comptant tous les croquis préliminaires et si l'on pense que chaque dessin a été dessiné trois ou quatre fois, on peut estimer que deux millions de dessins au moins ont été faits pour Blanche-Neige. Terminons en disant que la production a coûté environ 1.500.000 dollars, c'est-à-dire plus de cinquante millions de francs. Mais Walt Disney est récompensé par tin triomphe de ses dépenses et de ses efforts. C'est justice.
Tel est le délicieux conte que Walt Disney nous a raconté, moins par des mots que par des dessins et des couleurs.