La revue de cinéma hebdomadaire Pour Vous est parue du 22 novembre 1928 au 5 juin 1940. Il s’agit d’un grand format richement illustré. Sa rédaction, patronnée par L’Intransigeant, est située 22 rue d’Aboukir, 75002 Paris. En 1937, à l’approche de la sortie de Blanche Neige et les sept nains, le magazine coûte 1,50 FF le numéro.

Pour Vous du 26 août 1937

26 août 1937

Le numéro 458 du magazine français de cinéma "Pour vous", publié le 26 août 1937 contient un article sur Blanche Neige et les sept nains et Walt Disney. On trouve aussi un article sur Samson Fainsilber, acteur un peu oublié de nos jours, qui assurera quelques années plus tard la voix française du charismatique père de Bambi. Ce magazine atteste de l'intérêt généré par le film dans l'hexagone alors même qu'il est encore en cours de fabrication dans les studios. On remarque l’orthographe "Blancheneige" à travers l'article. À ce stade, il est évident que les noms et les personnalités des nains sont définis, et que les aspects trop terrifiants du conte original sont écartés de l'adaptation.

Grâce à Walt Disney... "Blancheneige et les sept nainssortiront du conte de Grimm pour revivre leurs aventures sur l'écran.

C'était l'heure où le ciel de New-York se quadrille de milliers de lumières. L'ombre, épuisée par tant de clartés, ne savait plus où se mettre. Broadway s'étirait comme un ver luisant entre des gnomes de réclame, des feux follets de publicité, et Times Square semblait ruisseler sous une averse de diamants qui eût rendu fou de joie Diamond Jim. Le Waldorf faisait penser à une cathédrale de pâtisserie, le Woolworth à une étrange (maladie de la pierre et, dominant la cité de ses cent deux étages, l'Empire State Building offrait l'aspect d'une bouteille de mousseux dont la capsule rouge avait l'air prête à sauter dans la lune. Mais je n'avais pas éprouvé le vertige de l'ascenseur et je n'étais pas monté au soixante-troisième étage de Radio City pour contempler les quatre-vingt-quatorze gratte-ciel de la ville, qui perdaient la tête dans la nuit. J'avais rendez-vous avec un homme dont la simplicité n'est pas la moindre merveille et dont le sourire paraît toujours éclairer un autre monde : Walt Disney. Le poète des dessins animés étant de passage à New-York, je devais boire le verre de l'amitié en sa compagnie. Et pouvait-on souhaiter meilleure occasion ? C'était alors le huitième anniversaire de Mickey Mouse. Les fées semblaient accompagner Walt Disney lorsqu'il pénétra dans le bar comme un escamoteur surgit d'une boîte à surprises. Peu de personnes dégagent plus d'ondes de sympathie que cet homme qui fait tout vivre, marcher ou parler. Il demeure tellement dans l'intimité des héros de légende que je m'attendais à voir Tom Pouce se dresser sur une table et les Trois Petits Cochons remplacer des chanteurs en mal de romance. Je regardais la caissière, oubliée comme un buste de cire dans sa cage vitrée, en me demandant si Mickey Mouse, Donald le Canard et le Grand Méchant Loup n'allaient point soudain lui jouer des tours. Mais ils firent preuve de discrétion : la vache Clarabelle ne prit pas son bain dans un cocktail et l'éléphant Elmer ne lança pas aux visages des consommateurs des jets d'eau glacée.

J'écoutai donc tranquillement Walt Disney qui me confiait, avec autant de gentillesse que de modestie, ses projets : « Je vais pouvoir, commença-t-il, transformer bientôt un rêve en réalité. Je prépare mon premier grand film de dessins animés en couleurs : Blancheneige et les sept nains. Vous connaissez sans doute le conte de Grimm dont je me suis inspiré et que j'entends suivre d'assez près. Vous retrouverez ainsi sans surprise la Reine qui persuade Blancheneige de mordre dans une pomme empoisonnée et qui la fait méchamment tomber dans un sommeil de magie. Et, suivant l'exemple de la plupart de mes films, je m'écarterai seulement de la légende pour éviter de finir par des images de terreur. Aussi, les sept nains se chargeront de punir rapidement la Reine en la laissant choir dans un précipice : elle n'agonisera pas en dansant au mariage de la princesse avec une paire de souliers de flammes. » Blancheneige, la Reine du conte de Grimm, le créateur des Silly Symphonies m'en parlait comme de dames qui faisaient partie depuis longtemps de sa famille. Et quand il décrivit les sept nains qui paraîtront dans son œuvre, je n'eusse pas été surpris de voir. les Lilliputiens sortir à l'improviste des poches de son gilet : « Ils répondent aux noms de Doc, Grumpy, Bashful, Dopey, Sneezy, Sleepy et Happy, m'annonça-t-il. Ce sont des personnages tels que vous pouvez en rencontrer dans la rue. Doc est le type du chef sûr de lui, mais qui s'accommode mal des idées et qui cherche à préciser son vocabulaire sans succès ; Grumpy ressemble à ces misogynes qui dissimulent leur tendresse sous une carapace de lassitude et d'ennui ; Bashful, avec son goût du romanesque, demeure plein de timidité dans la vie ; Dopey dissimule son espièglerie sous un air de fadeur ; Sneezy parle du nez, car il reste sujet au rhume des foins, et Happy, à la tête ronde, figure une forme du bonheur. » Malgré leur taille, ces sept nains devaient en faire voir de toutes les couleurs aux dessinateurs chargés de les représenter. Tantôt s'agissait d'habiller Dopey avec un costume cinq fois trop grand pour lui ; tantôt il convenait de traduire les sentiments des Lilliputiens en variant simplement la position de leurs sourcils. « Si vous avez l'occasion de venir dans mes studios, poursuivit Walt Disney, vous pourrez surprendre des dessinateurs éternuant de leur mieux ou bâillant avec insistance pour fixer une expression sur le papier. Aussi les personnages de mes films ressemblent-ils à s'y méprendre aux artistes qui les animent. Et je m'émerveille de voir que mes compagnons, à force de vivre entre Dopey aux mains perpétuellement agitées de tics et Sneezy secoué sans relâche par le rhume des foins, ne donnent pas plus de signes de détresse. Peut-être se surveillent-ils en présence de Blancheneige. Quoi qu'il en soit, le rêve de Walt Disney a maintenant la valeur d'une réalité. Blancheneige et les sept nains revivront bientôt par enchantement sur l'écran. J'imagine sans peine que leurs aventures auront le même charme que les contes de Grimm, où les bêtes ne dédaignent point de parler le langage des hommes, où les rois donnent parfois la main de leurs filles aux mendiants et où les cailloux prennent volontiers l'éclat des écus. Car, depuis qu'il découvrit le pays des merveilles, nul ne connaît mieux que Walt Disney les secrets de La Lumière bleue, les sortilèges des Trois cheveux d'or du diable et la retraite du Monarque de la montagne d'or. Et comme les fées ne savent rien refuser à qui les aime, elles lui donneront une fois de plus une recette pour séduire à coup sûr les enfants de 8 à 80 ans !

Paul Gilson.

Article du 26 août 1937 dans Pour Vous