Blanche Neige n'est pas de l'art

L’ADN de la très intellectuelle revue « Arts », fondée en 1952 et publiée jusqu’en 1966, peut se comprendre le titre du livre que lui consacre Henri Blondet : « La culture de la provocation ». Une fois ceci compris, on ne s’étonnera pas que l’article du courageux anonyme de 1962 qui rapporte la ressortie de noël de Blanche Neigeprend le contrepied des louanges unanimes pour se lancer dans une féroce diatribe contre le film d’un premier degré aussi clair que dépourvu d’arguments. L’auteur trouve le film trop beau, trop réaliste, trop plaisant, bref, cela cache forcément un agenda capitaliste et abrutissant et ça ne peut être que de mauvais goût. La preuve : les enfants aiment ça. Tout ceci est bien trop « peuple », comme le calendrier des postes mentionné ici, sur lesquels on pourra trouver des petits chats, ou même des dessins des studios Disney.

Ce snobisme primaire peut faire sourire, mais il reflète réellement l’opinion d’une partie de l’intelligentsia qui ne s’embarrassera pas de voir le film pour le trouver mauvais.

Blanche Neige : Sucrerie de Noël

par un journaliste inconnu (27 décembre 1962)


Inusable, Disney offre toujours les sucreries de Noël. Blanche Neige est éternelle, la fadeur inaltérable. Des peuples d'enfants y trouvent leur bonheur. Personnages léchés, mains alanguis, animaux doux et mièvres, la romance flatte jusqu'à l'écœurement. Univers sans relief et sans vie, menacé par la gentillesse, épuisé par la mollesse. Le mauvais goût s'y glisse doucement, poisseux comme un sirop.

La joliesse l'emporte toujours sur la beauté. La délicatesse s'appelle platitude. Anti-artiste jusqu'au fond du cœur, tout veut plaire. Le prince charmant a les charmes du mannequin. Figé, immobile, il n'est que la caricature malheureuse d'un homme niais qui joue au bellâtre. La princesse cède au même mouvement. Vénusté de commande : la lâcheté du trait et les compromissions du dessin sont là pour rassurer les âmes innocentes.

Pour que ces âmes soient heureuses, on force un peu l'imagerie. Et la laideur s'affirme pour satisfaire, de Paris à Moscou, les amateurs de chromos. Ils sont au ciel. Le calendrier des postes s'anime. La vulgarité prend des teintes subtiles. C'est beau comme un rêve... C'est ainsi que l'on tue le goût.

Anti-artiste jusqu'au fond du cœur, commerçant roublard, Disney vous tend la main. Complaisant, attentif et bavard, il vous conduira dans un monde débonnaire où tout reflète une hideur pomponnée qui prend au réalisme ses armes les plus basses. Chez Disney, l'homme est toujours présent pour le malheur fantastique. Minutieusement, diaboliquement, on ruine l'imaginaire, on en revient aux gestes quotidiens, c'est le triomphe de l'anthropomorphisme. Rien n'échappe à cette loi. Les animaux eux-mêmes se déguisent, honteux de n'être point des hommes. Le calendrier des postes s'anime. Ravi, le public applaudit. Et le flagorneur passe à la caisse. C'est ainsi que Blanche Neige n'a pas fini de plaire.