Lucienne Dugard

De Mlle Gros à Mme Beaugé

Lucienne Dugard n'est pas la première artiste à enregistrer les chansons de Blanche Neige mais elle est bien l'une des premières et elle est sans doute l'une de celles dont on se souvient le mieux et est, avec Élyane Célis, celle dont la popularité a le plus explosé grâce à Blanche Neige. Ses enregistrements ont été très souvent réédités dans plusieurs formats. Grâce à eux, elle a gagné le 8e Grand Prix du Disque de "Candide" aux côtés de Charles Trenet en décembre 1938, et le grand public a longtemps cru à tort que la chanteuse prêtait également sa voix au personnage dans le film. Qui est Lucienne Dugard ?

Née Noëlie Lucienne Rose Gros le jour de noël en 1901 à Nîmes et morte à Bougival le 22 septembre 1968. 3 jours avant la première française du film, La Dépêche Toulousaine la considère encore comme "une nouvelle et brillante recrue". De fait, si elle a déjà enregistré des disques, participé à des émissions radio (avec Robert Laurence), le nom de "Lucienne Dugard" ne devient réellement populaire qu'à l'époque de la sortie du film. C'est parce que jusqu'alors, elle avait une carrière de cantatrice débutée à l'Opéra-Comique sous le nom de Lucienne Baugé, épouse depuis le 30 juillet 1929 du comédien et baryton André Baugé, avec des succès dans Lakmé, par exemple. André est alors une vedette de l'écran qui y a joué entre autres le rôle de Figaro. Mme Lucienne Baugé attire d'abord l'attention de la presse le 15 décembre car elle a eu la veille un grave accident rue de l'étoile où elle s'est fait renverser par un taxi, lui causant ainsi une fracture du crâne. On ne la retrouvera à la radio qu'en avril 1935 et elle fera ses débuts à l'Opéra-Comique dans le rôle-titre de Les noces de Jeannette le mois suivant, puis y joue dans La Reine Fiammette, Lakmé, Carmen, etc.

De Mme Beaugé à Lucienne Dugard

Le 31 octobre 1937, Paris-Soir fait un dernier article sur Lucienne Baugé qui disparaît ensuite pour laisser sa place à Lucienne Dugard. "Le Journal" du 7 décembre 1938 fait enfin le rapprochement : "Lancée sur les traces artistiques de son ex-mari, Lucienne Dugard peut prétendre désormais à un heureux destin vocal." Après quoi, elle fait les débuts de son tour de chant à l'A.B.C. "sans doute sur les conseils de son maître Reynaldo Hahn, qui lui a choisi son répertoire". Pourtant, Paris-Soir annonce le 25 août 1939 la réouverture de l'Empire pour le 6 septembre et précise : "André Baugé en sera le principal interprète avec sa femme : Lucienne Baugé". Celle-ci passera en effet encore à la radio ce mois-ci avec ce patronyme, qui ne reviendra plus jamais sous la plume des journalistes après cela.

Affiche de Lucienne Dugard
Lucienne Dugard

Blanche Neige

Même si Lucienne Dugard reste le nom par lequel on la connaît aujourd'hui, il semble que sa popularité ne sera plus jamais celle de 1938 : alors que Le Petit Parisien du 11 juillet 1939 publie sa photo et annonce ses débuts dans le cinéma, vraisemblablement modeste car le film n'est pas nommé, l'article commence ainsi : "Vous ne la connaissez pas ? Peut-être, mais vous l'avez sûrement entendue." C'est d'ailleurs cet article qui, entre autres, a pu entretenir le doute dans l'esprit du public. Tout d'abord le titre en est : "Lucienne Dugard, la "voix" de Blanche Neige". Ensuite, on peut y lire "Souvenez-vous de cette voix (...) qu'elle prêta à la touchante héroïne du conte de Grimm." ou "On me demanda d'interpréter vocalement la version française du film." Pas étonnant dès lors qu'on ait pensé à l'époque qu'elle parlait du film et non des disques. Cet article semble être le premier d'une longue liste reprenant cette information erronée que la chanteuse n'a probablement pas découragée, étant donné le peu de risque de démenti de la véritable interprète. Pourtant, sa description de la façon dont elle a été amenée à les enregistrer contredit ce mensonge dans ce même article puisqu'elle y concède avoir vu le film avant. "Quand on présenta Blanche Neige, le directeur d'une grande firme de disques m'y conduisit en me demandant de choisir l'air qui me plairait pour l'enregistrer."

Après Blanche Neige

M. Le Petit dans Le Mercure de France décrit sa prestation à l'A.B.C. en novembre 1939 où elle se produit dans une grande robe blanche devant un décor noir : "Nulle esbroufe chez elle, nulle recherche d'effets faciles, nulle coquetterie vulgaire. La modestie est sa parure." Début 1940, elle se produit à l'Européen avec Charpini, et enchaîne les galas de bienfaisance et devient marraine de guerre. Bien qu'on lui demande en juin 1940 de quitter sa propriété de Bougival avec son chien et ses trois chats, elle s'installe à Paris et l'occupation ne semble pas interrompre sa carrière qui se poursuit à la radio et sur les scènes du Paramount, du Normandie et d'autres salles de cinéma en complément de programme des films projetés, puis au cabaret L'Aiglon en 1941, en tournée d'été à Biarritz, puis à L'Alhambra. Elle chante également "Les jardins nous attendent" de Jean Tranchant dans le film Ici l’on pêche. Occasionnellement présentée comme "La voix de Blanche Neige" bien que cet attribut soit plus rare après l’interdiction du film, elle ne cesse de travailler et écope d'un blâme par le comité d'épuration du spectacle en janvier 1946. Elle continue à se produire sur scène dans le 18e arrondissement de Paris deux mois après. Le même journal "Combat" qui annonce l'affaire, rapporte 9 mois plus tard qu'elle faisait partie du réseau de résistance "Comète". L'intransigeant du 12 juillet 1951 annonce qu'elle part pour Rio de Janeiro donner des récitals de chansons "1900".

Elle se remarie avec Jules Georges Moneron, directeur d'usine, né à Paris le 24 mars 1904, lequel apparaît à la télévision le 10 mars 1985, alors veuf de la chanteuse, pour demander à Pierre Bellemare de retrouver des chansons de sa femme défunte, car celle-ci a offert tous ses disques à ses amis. Il décède très peu de temps après, le 1er juin 1985 à Aix en Provence.

Lucienne Dugard