La Cinémathèque Française
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Henri Langlois, le mythique administrateur de la Cinémathèque Française qu’il a contribué à fonder 10 ans plus tôt, organise des expositions à la Cinémathèque au 7 avenue de Messine, 75008 Paris. Les deux premières sont étroitement liées et inaugurées le 7 février 1946. Si l’on en croit le journal Combat, les électriciens s’affairent encore ce jour là alors que les installations ne sont pas encore finalisées. La première exposition s’intitule « Exposition du dessin animé », et la seconde est dédiée à Émile Reynaud, considéré comme le précurseur du dessin animé. Pour l’occasion, son fils présente les films de son père grâce à un appareil nouvellement construit, nécessaire à leur projection, les deux « théâtres » que possédait Émile ayant été détruits par leur créateur.
Dans cette exposition, les rares longs-métrages animés déjà sortis, et ceux en cours de fabrication sont à l’honneur. Naturellement, Blanche Neige y tient donc une place de choix. Étonnement, l’affiche de l’exposition annonce les mois de décembre à février, alors que l’exposition ne commence qu’en février, avec des horaires de visite de 11h à 22h. Or, la presse atteste d’horaires de 10h à 19h.
Il semble que l’exposition s’exportera à Bruxelles à la fin de l’année 1946.
L’article de P. Robin dans La Cinématographie Française du 23 février 1946 décrit l’exposition. Voici le texte.
La Cinémathèque Française a ouvert deux brillantes expositions consacrées à Émile Reynaud et au dessin animé.
Deux très intéressantes expositions se sont ouvertes dans les locaux de la Cinémathèque Française, 7, avenue de Messine « L’Exposition du Dessin Animé » et « L’Exposition Emile Reynaud ». Toutes deux se complètent puisqu’avant que le cinéma soit, Emile Reynaud avec son » Praxinoscope » avait littéralement inventé le « Dessin Animé ».
L’Exposition en général nous présente une synthèse de cet art méconnu qui, de Reynaud à Grimault, en passant par Cohl et Disney, enthousiasme et émerveille petits et grands.
Dès l’entrée, nous sommes accueillis par tous les personnages que nous connaissons. Voici Popeye et sa femme, grandeur nature — si j’ose dire — dans une dramatique situation et sous l’œil placide d’un gros poisson, héros d’un charmant film de Disney, tandis que, boudeur, dans un angle, Donald, l’éternel malchanceux, médite sur ses malheurs. À gauche, voilà Mickey, Minnie, Goofy, Bonzo, Pinocchio et Pluto en gracieuses petites statuettes judicieusement disposées dans les cubes d’un damier. À droite, dans une vitrine sont exposés les ancêtres, les disques du « Phénakisticope » et la lanterne magique.
En commençant notre visite, nous voyons un tableau descriptif et explicatif de la technique même du dessin animé : les études de Grimault pour son prochain film, des photos d’ateliers de traçage, gouachage, animation, etc., etc., jusqu’à la prise de vues et réalisation complète (1). Au-dessus d’une vitrine contenant la planche à épingle d’Alexief est apposée une étude originale de Disney pour “Fantasia“.
La salle Cohl retrace la vie et l’œuvre du précurseur du Dessin Animé qui créa tous les genres d’animation : dessins anecdotiques, films de marionnettes, ombres chinoises, films abstraits, films publicitaires et filins pédagogiques. De nombreuses photos et des dessins illustrent tous ces travaux. Nous pénétrons alors dans la salle des rétrospectives où sont exposées des photos des principaux films de Dessin Animé depuis les origines : Gertie the Dinosaur de Mac Kay (1908), Félix le Chat de Pat Sullivan (1913). Le royaume de l'air de Paul Terry (1915), La danse macabre (1929), Le Petit Tsar Doulandaï (1934), Blanche Neige (1937), Pinocchio (1938). Gulliver (1939). Fantasia (1940), Victory Through Air Power (1942), etc., etc.
Dans une salle adjacente, tel un tableau du Musée Grévin, voici reconstituée la grande scène de Barbe Bleue, de Painlevé, à l’aide des marionnettes du film et puis le fiacre qui servit à Jean Perdrix pour animer la chanson du même nom. Voilà encore des films de Len Lye, émule de Fischinger, des photos d’AIexieff, de Lotte Reininger, etc...
Mais le clou de cette exposition, c’est la présentation faite par Jacques Damiot, des marionnettes de Starevitch où l’on retrouve le Renard, la Cigale et la Fourmi, la Grenouille, le Lion, etc., savamment disposées et pleines de vie.
Faisant face, un panneau est réservé au Dessin Animé français : Arcady, Grimault, Image etc., etc., avec des documents exposés dans leur ensemble tricolore du plus joyeux effet.
Enfin, comme toute exposition sur le Cinéma ne se comprendrait pas sans projection de films l’on peut voir dans la petite salle de la Cinémathèque un choix de dessins animés dont un ciné-rythme de Fishinger, un film de Paul Grimault, et deux Mickey dont l’un : Mickey, tâte du bâtiment, est un petit chef d’œuvre de rythme et de cocasserie.
L’exposition Émile Reynaud, installés au second étage de l’avenue de Messine nous permet de voir les différents essais des précurseurs du cinéma. Dans un cadre très XIXe siècle sont exposés le Zootrope, le Thaumatrope, le Phakinescope (qui est un plagiat de Reynaud) et surtout les inventions de Reynaud, Praxinoscope et Photo-scénographe. Mais la plus jolie pièce exposée est sans conteste la bande « Pauvre Pierrot » qui fut projetée à la Maison de la Chimie pour le Cinquantenaire. C’est l’un des plus précieux documents que l’on possède actuellement sur les origines du théâtre optique et nous devons de le voir grâce à l’amabilité du Musée des Arts et Métiers. Les autres documents ont été prêtés par les fils de l’inventeur Paul et André Reynaud.
Pour terminer nous reproduisons le texte apposé à l’entrée de ces expositions, qui nous semble résumer le mieux l’impression que nous a causé cette visite :
« Réalisé avant le Cinéma par Emile Reynaud, porté à l’écran par S. Blakeston, le dessin animé semble arrivé en 1945 avec les long métrages Technicolor au dernier stade d’un formule dont Disney précédé de Pat Sullivan et Fleisher suivi de Ub Irweks et d’Harman et Ising est le représentant le plus éminent L’U.R.S.S. et la France cherchent une formule nouvelle en parlant d’Émile Cohl. »
Il ne nous reste plus qu’à féliciter ceux qui ont su si bien nous intéresser : les décorateurs Jacques Douy et Jean Castanier et le personnel de la Cinémathèque, tous placés sous la direction d’Henri Langlois.
P. Robin.
(1) Je signale, en passant, que le film de Walt Disney Les secrets de Walt Disney nous promènera lui aussi, mais alors en images animées parmi les différents pavillons des studios de Burbank et que nous pourrons y voir naître un film de dessins animés.
Film d'actualité français du 8 mars 1946
Sur son site Internet, l'Institut national de l'audiovisuel propose un extrait des actualités du 8 mars 1946 qui traitent de cette exposition.