Jean Cussac est un chanteur et c'est en cette qualité qu'il est choisi pour interpréter le Prince, qui n'a qu'une seule réplique non chantée. Mais il assure également le chant des petits hommes. C'est qu'il s'agit là d'un grand professionnel, habitué à moduler sa voix et qui retrouvera Disney souvent dans sa carrière, soit comme directeur musical, soit comme chanteur dans les films ou les disques.

Pour évoquer sa carrière, il n'est pas de meilleur spécialiste que Rémi Carémel, du blog Dans l'Ombre des studios, qui a rédigé l'article suivant, paru à l'origine sur La Gazette du doublage.

Lyrique & Variétés

Jean Cussac est né à Paris le 31 mai 1922. Il étudie le chant au Conservatoire national et commence une longue carrière de chanteur soliste et choriste, en tant que baryton. Il donne de nombreux concerts classiques (musique ancienne, concerts de musique de chambre).

Mais Jean Cussac ne se cantonne pas au lyrique ! Sous la direction de l’américain Ward Wingle, il fait partie de la première formation des « Swingle Singers », qui interprète des chants classiques façon « jazz vocal ». On retrouve dans ce groupe quelques chanteurs ayant participé à des doublages (en tant que solistes ou choristes) : Christiane Legrand (sœur de Michel Legrand), Jean-Claude Briodin (chanteur talentueux des « Double Six ») et la famille Germain (Anne, Claude et José).

Le groupe connaît un certain succès (leurs disques sont toujours réédités, et une nouvelle formation a vu le jour), notamment aux États-Unis, où ils reçoivent trois « Grammy Awards » du meilleur chœur (de 1964 à 1966). Ils ont l’honneur de donner un concert à la Maison Blanche devant le président Johnson et de créer le Sinfonia de Luciano Berio sous la direction du grand Leonard Bernstein.

Jean Cussac a l’occasion d’accompagner de nombreux artistes, comme Édith Piaf, Léo Ferré, Tino Rossi, Gilbert Bécaud... Il travaille aussi comme maître de chapelle, à l’église Saint-Louis des Invalides, à Paris, et crée plusieurs classes de chant en région parisienne.

Un chant synchro

En 1962, les Américains de chez Disney et le directeur musical de doublages André Theurer cherchent un prince pour le deuxième doublage de Blanche Neige et les sept nains. Ils font passer des essais qui ne sont pas satisfaisants, car trop « lyriques », à plusieurs chanteurs. Ils choisissent finalement Jean Cussac, qui bien que n’étant pas dans le pupitre du rôle (le prince est censé être ténor, or Jean Cussac est baryton), colle mieux au personnage.

« Au moment de l’essai, j’ai fait quelques mesures, on a dit « c’est lui ! », et le directeur de la boîte de doublage a dit "ce n’est pas possible, Cussac a fait un petit nain hier !" » se remémore-t-il avec amusement. « Pour lui, en tant qu’homme de cinéma, quelqu’un qui faisait le petit nain ne pouvait pas faire aussi le prince charmant ! Seulement, il ne s’imaginait pas que j’avais truqué ma voix pour chanter Heigh Ho, Heigh Ho, on rentre du boulot ! »

Sa prestation est retenue par Disney qui le demande sur plusieurs autres films, comme Les 101 Dalmatiens la même année (voix chantée de Roger), Merlin l'enchanteur en 1963 (chanson d’introduction), L’été magique en 1963 également (voix chantée de Burl Ives / Osh Popham) ou Le livre de la jungle en 1967 (quatuor des vautours). « À partir de là, les américains voulaient que je sois là » se souvient-il.

Ses prestations vocales pour des doublages de films sont assez nombreuses, mais Jean Cussac a aussi participé directement à la création de plusieurs musiques de films de Michel Legrand, Georges Delerue, François Rauber en tant que responsable de la composition des chœurs, ou, plus rarement, en tant que soliste, comme dans Moi y en a vouloir des sous (1973) de Jean Yanne où il chante au générique...

Une expérience intéressante : l’enregistrement des chansons des Parapluies de Cherbourg (1964) de Jacques Demy, dans lequel il chantait le joaillier. « C’était drôle, car on a d’abord fait la musique au studio 116 des Champs Élysées. Les comédiens étaient là pour assister à l’enregistrement et lorsqu’ils ont tourné, ils avaient la musique dans les oreilles et « doublaient » nos chansons ».

Directeur musical, un métier...

Jean Cussac s’est ensuite initié au métier de directeur musical de doublages.

À l’époque, le principe était le même que pour une synchro parlée : le directeur musical retranscrivait sur une bande mère ce qu’il entendait dans la version originale : paroles et musique. Il mettait des repères pour indiquer où se trouvaient les croches, les noires, etc... Ensuite, il retranscrivait cela sur une autre bande rythmo avec une véritable portée musicale et les paroles écrites par l’adaptateur.

Ce travail de détection était particulièrement nécessaire, surtout lorsque l’on sait que certaines productions n’envoyaient pas leurs partitions ou envoyaient des partitions qui ne correspondaient pas complètement à ce qui se trouvait dans le film.

Après la phase de la détection, le directeur musical faisait (et fait toujours) un devis avec les estimations du nombre séances d’enregistrement en studio, des salaires des chanteurs, etc... Une fois les séances planifiées, il dirigeait les séances avec un playback.

Comme la plupart des directeurs musicaux, Jean Cussac a surtout travaillé avec des paroliers (notamment Natacha Nahon) et des chanteurs (Jean Stout, Henry Tallourd, Jean-Claude Corbel, Michel Barouille, Anne Germain, etc...), mais peu avec des directeurs artistiques et des adaptateurs, qui ne sont pas spécialisés dans la chanson. « Les quelques fois où l’on a voulu m’imposer un chanteur, j’ai décliné. Je voulais être responsable de A à Z ».

...Et des expériences

Si Jean Cussac a commencé la direction musicale dans les années 60, ses doublages les plus remarqués datent surtout des années 80 et du début des années 90 : les superbes Brisby et le Secret de Nimh (1982), Fievel et le Nouveau Monde (1986), les séries Teddy Ruxpin et Doug , etc. Il a aussi assuré la direction musicale de nombreux doublages et redoublages pour Disney, prenant ainsi la succession de Georges Tzipine : Dumbo, l’éléphant volant (1979), Rox et Rouky (1981), Basil détective privé (1986), La Belle et le Clochard (1989), et bien d’autres...

Un de ses meilleurs souvenirs reste le doublage du film Annie (1982) de John Huston. « Le plus beau compliment qu’on ait pu me faire vient du directeur d’un école de chant dans laquelle j’enseignais à l’époque. Il m’a dit "Je ne m’étais pas aperçu que c’était doublé" ».

Comme beaucoup de comédiens, il est assez critique envers le phénomène des stars qui se mettent au doublage. Il se rappelle que Disney avait voulu lui imposer une célébrité sur le doublage d’un film d’animation. « Il y avait un morceau plutôt rock, et on m’avait envoyé un chanteur célèbre aux studios de La Garenne-Colombe. Il est arrivé, très gentil. Il avait eu la musique et la cassette avant, et il n’y arrivait pas, c’était trop haut pour lui. Mais on ne peut pas modifier un playback. Donc on est revenu sur les interprètes que j’avais prévus au départ et qui collaient exactement à la voix, au style... Mais cela a fait un sac de nœuds, car les chanteurs ont refusé les cachets que j’avais prévus. Ils ont dit "Si Disney demande une vedette, c’est qu’ils ont de l’argent pour payer" ».

Il pense que le vedettariat dans le doublage est un argument purement commercial, mais pas artistique du tout. En revanche, même si ce n’est pas du doublage proprement dit, il garde de très bons souvenirs de l’enregistrement du générique final de Brisby et le Secret de Nimh avec Yves Duteil.

Aujourd’hui, après une longue carrière, Jean Cussac coule une retraite bien méritée dans le Sud-Ouest de la France.